La première fois que j’ai entendu Richie Hawtin, c’était par l’intermédiaire de ma sœur. Elle était allée en voyage universitaire à Berlin courant années 2000 et au détour d’un disquaire un ami lui avait conseillé sir Hawtin, pour mon plus grand plaisir. Bien sûr c’était un CD, et on l’écoutait donc dans des conditions spécifiques : sa Modus, qu’on empruntait pour prendre l’A13 depuis Paris vers Rouen et ainsi de suite. Les basses étaient fortes, la route défilait et la musique filait aussi paisiblement que cette petite carcasse sur le bitume des vacances.
Qui est Richie Hawtin ?
Né au Royaume-Uni en 1970 mais d’origine canadienne, Richie Hawtin est parti dès ses neuf bougies vivre au pays de l’érable. La musique est souvent liée à l’intimité familiale et si pour certains Starmania rappelle la candeur de la banquette arrière décorée de par-soleils, disons que le père de Richie n’a pas transmis les mêmes références. Technicien robotique chez General Motors, ce dernier était féru de musique électronique et faisait écouter à son petit Richie rien d’autre que Kraftwerk et Tangerine Dream – soit les pères de l’ambient et de la techno pour faire simple.
1987 : Plus 8, label à l’esprit pratique
Dès 1987, Richie Hawtin commence à tourner en tant que DJ et en 1989 (il a alors dix-neux ans), il monte un label qu’il appelle Plus 8. A quoi fait référence ce « Plus 8 » ? Le principe de mixer est, entre autres, celui d’enchaîner deux morceaux en leur donnant la même vitesse. Pour ce faire, les platines ont un curseur appelé pitch que vous pouvez pousser pour ralentir ou tirer pour accélérer ladite musique. Chez les mythiques platines Technics, ce curseur va de -8% à +8%.
Conclusion : ce Plus 8 signifie que Richie Hawtin et son acolyte John Acquaviva (co-fondateur du label) ont la manie de tirer sur ce curseur pour accélérer les sons qu’ils passent. Autrement dit, le label est clairement un label de techno et est même précurseur dans un de ses sous-genres particuliers : l’IDM – comprendre Intelligence Dance Music. C’est avec ça que nous ouvrons la playlist que vous écoutez sans doute : Approach and Identify de FUSE (derrière qui se cachent les deux compères).
1999 : Decks, EFX & 909, album à l’esprit pratique
Quel est le concept derrière cet album ? Par decks, entendez platines. Par EFX, entendez effets. Par 909, entendez la TR 909, un synthétiseur de batterie créé par Roland – papa de la TB 303 et donc de l’acid.
Comme nous l’écrivions plus haut, Richie Hawtin est entre autres un des pères de l’IDM. Ainsi, il y a derrière sa démarche une perception quelque peu technique de la chose – rappelez-vous, son père est dans la robotique. Derrière ce projet qui sera décliné sur 2 autres albums, il y a une leçon inaugurale du mix.
Ce que nous vous proposons avec le dernier titre de cette playlist, c’est le second album de cette trilogie qui rend pâle le samedi d’M6. Dans cet opus intitulé « Closer to the edit », il décortique 75 musiques différentes pour en prendre les plus infimes parties. Littéralement, il fait donc un edit : il coupe des morceaux déjà existants pour simplement les réagencer. Il ne crée rien, il compile. Toutefois, avec cette notion du « closer » (plus proche), il repousse les limites et prend vraiment d’infimes parties, quitte à ce qu’on ne puisse pas les retrouver dans les morceaux originaux. Ce que nous avons, ce sont donc des variations minimales, celles qui font que c’est de la techno minimale.
Un edit, oui, mais d’où vient le morceau ?
Chose incroyable que nous découvrons à l’instant, il semblerait que c’est avec cet album qu’a été inauguré Final Scratch, un logiciel qui permet de mixer sur vinyle, sans vinyle.
On est en 2001 et jusque là il y a quelques platines digitales (entendre qu’on peut y charger des fichiers numériques). Si l’on veut mixer, il faut donc mixer sur platine, cassette ou CD. Ce n’est qu’en 2004 que Pioneer vulgarise les platines digitales avec la sortie de sa CDJ-1000 : on peut y charger n’importe quel fichier numérique et l’accélérer, le ralentir…
Où est l’innovation de Richie Hawtin dans ce cas ? Lui qui mixe depuis plus de dix ans sur vinyle est comme les skieurs se refusant à une semaine de bizutage en vue d’apprendre le snowboard : la flemme de tout réapprendre mélangée à un certain conservatisme classieux (la métaphore ski/snowboard ne marche plus du coup…). L’idée, c’est donc de synchroniser le vinyle avec un fichier numérique et donc on charge le morceau, il prend forme sur le vinyl et c’est la platine qui fait le travail (accélération, synchronisation…).
En bref, une musique incroyable, produite incroyablement et pour des gens incroyables (oui, c’est de vous que nous parlons). Et si vous vous demandez quel est le paysage de cette féérique musique, pensez à la fabuleuse A13, au niveau du MacDo de Mantes-la-Jolie. C’est là que ça se passe.
Signature et crédits :
Le son : Closer to The Edit de Richie Hawtin à partir de 8,80€ chez votre marchand de journaux.
Le texte : Nils Savoye
Le visuel : Tout grand merci à Marie Casaÿs.
On ne parle pas souvent d’IDM mais les clips et l’univers de Peder Mannerfelt pourraient vous intéresser si c’est votre truc.