Bruit du signal de départ. Fermeture des portes. Légère secousse au démarrage. Le RER D quitte la gare de Paris Gare de Lyon et roule vers Melun via Combes-la-ville-Quincy. Je trouve une place assise près des fenêtres. Le train sort du tunnel souterrain, il fait déjà nuit. Jusqu’à Montgeron, il y en a pour une vingtaine de minutes et il va traverser tout un tas de paysages de banlieues différentes : pavillons, logements sociaux, garages, boutiques, fabriques désaffectées aux façades taguées, écoles maternelles et primaires, complexe sportif, centre de maintenance de la SNCF. Pendant ce trajet je remets le voyage en route, peuplé d’histoires et d’associations d’idées et d’images, qui se collent et se décollent.
Par-delà le périphérique et passé Maisons-Alfort, les balcons du grand ensemble « Les Choux » apparaissent, annonçant l’arrivée à Créteil. Ils me projettent à la fin des années 1970. J’imagine un Franck Poupard errant et dansant seul dans son terrain vague, s’il en existe encore. Dans Série noire, il (joué par Patrick Dewaere) était entouré de tours de logements sociaux et d’un magasin « Printemps », à présent disparu pour être remplacé par le « Carrefour » du centre commercial Créteil Soleil. Je revois ce représentant de commerce miteux traverser les rues de sa banlieue, en chantant « Monaaaa ! Monaaaa ! » dans sa voiture, cherchant désespérément un peu de fric.
A la station, je regarde descendre des hommes aux silhouettes identiques et m’arrête sur un type. Le costume et la chemise rayée qui semblent tout droit sortis de chez Célio. Il n’a pas de trait singulier. J’imagine qu’il va rentrer dans son petit chez soi – ordinaire, peut-être pas le pavillon crasseux et bordélique de Poupard. Il est content de retrouver sa maison, ses enfants, sa femme et sa série Netflix… Non, non ! Il s’allonge toujours aussi fatigué des transports, de Paris, de son travail, de son open space et de son N+1, de son quotidien. Il se demande si on pourrait revivre, sans répéter les mêmes choses. Effacer sa vie, comme si elle n’avait été qu’un brouillon. On gomme tout et on se refait une vie en mieux.
Le train repart et le type, je le perds. Le fil du récit fuit.
On longe la Seine noire, éclairée par quelque lampadaire et par la lumière qui s’échappe de la fenêtre de maisons en meulières, dont certaines sont cachées par des arbres. Elles semblent dormir et sur le chemin, jamais un passant. Je suis entre Villeneuve-Saint-Georges et le tableau de Magritte. Je voudrais sauter du wagon et me plonger dans ce paysage de rêves, croyant entendre une contrebasse. Je marche entre la Seine et les pavillons, sans grilles, l’entrée à même la rue. Des bruits de pas, peut-être seulement les miens. Je respire l’odeur du fleuve et de la nuit, attendant que quelque chose advienne. Ma main frotte les murs des logis et pousse une porte au hasard, glisse sur la tapisserie du couloir. C’est elle qui me guide et m’entraîne derrière un buffet, d’où je peux observer une femme de dos, qui fait cuire de la viande. La main reprend sa course et me conduit dans cette cuisine. Elle est grande ouverte et ses doigts allongés touchent presque le tablier, lorsqu’apparait de ma fenêtre le panneau de la gare « Montgeron-Crosne ».
RER – Signature et crédits :
Le son : Philippe Sarde est un compositeur français de musiques de films. Il a composé entre autres la bande son de La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Ici, vous avez le thème principal de Le Choix Des Armes, autre film d’Alain Corneau sorti en 1981.
Le texte : Constance Barbaresco vous réinvente la banlieue au rythme de classiques du cinéma et de la peinture. Série Noire est un film de Alain Corneau sorti en 1979 avec Patrick Dewaere, Myriam Boyer & la regrettée Marie Trintignant.
Le visuel : Anne Cécile Kovalevsky aka KOVA a l’habitude de dessiner dans des salles de concert et s’est cette fois inspirée du récit de Constance.
Pour aller plus loin, toujours plus loin : Constance nous racontait un autre pan de sa vie dans le RER, cette fois en parallèle au géant Raymond Queneau.