Ko Shin Moon est un groupe découvert au détour d’une péniche du dix-neuvième arrondissement de Paris. Les programmateurs avaient fait le choix de donner la primeur au concert mêlant Bosphore et synthés festifs, venaient seulement ensuite des projections de courts-métrages. D’aucuns diraient que c’était une erreur, je me contenterai de puiser dans mes souvenirs qui sont ceux d’une salle tiède et moite, plus ou moins gorgée de bière et la fête au ventre alors que les courts défilaient sans réclamer leur dû.
Quoi qu’il en soit, quelques temps plus tard, encore une fois les connexions digitales opèrent et je me retrouve avec un Axel Moon (membre du duo) qui m’envoie leur dernier projet : 78 fragments. Si la démarche initiale de Ko Shin Moon était d’utiliser des instruments orientaux pour les exposer à leur univers contemporain, là on monte d’un cran puisqu’ils ont carrément retravaillé des archives datant du début de siècle dernier. Mais lisez/écoutez/voyez plutôt.
Le premier album, sorti en 2017, mélangeait raï, rock psychédélique et sonorités acides dans un bordel dur à gérer voire à digérer. Pas dans le sens où c’était lourd mais plutôt dans le sens où l’univers proposé était riche, baroque finalement, et que l’auditeur se retrouvait au milieu d’incroyables ponts entre maintes civilisations nord-africaines, perses et j’en passe. On avait des guitares, des ouds, des synthés aux mille facettes, un baglama…
Ko Shin Moon dépoussière les archives
Divers déjà dans la démarche de l’époque, les deux membres du groupe ont attiré – notamment par le biais leur label Akuphone – l’attention d’un autre univers incroyable, celui des archives sonores de la Bibliothèque Nationale de France. Ainsi, le 78 de ces fameux fragments fait référence aux 78 tours, ces formats d’avant les fameux 33 et 45 tours dont la taille oscille d’ailleurs entre les deux contrairement à ce que l’on pourrait penser.
Non contentes de regrouper l’ensemble des livres édités en français, les archives de la BNF, rendues accessibles via entre autres la plateforme digitale Gallica, se targuent également d’archives sonores. Parmi ces dernières, on compte par exemple les 184 78 tours enregistrés par le conservateur du Musée Guimet aidé de son assistante lors de l’Exposition Coloniale de 1931, ce qu’on dénomme une anthologie musicale de l’Empire.
Des archives pour être toujours plus près de la source
Pour ce qu’il en est des fragments, comprenez sample étant donné que l’idée est d’isoler des extraits sonores avant de les enrichir des créations originales du groupe. En gros, au début le projet de Ko Shin Moon était de mettre au goût du jour certaines sonorités peu courants dans nos oreilles occidentales. A ce titre, ils jouaient dans la même marre qu’un Acid Arab ou qu’un Altin Gün pour ne citer qu’eux.
Toute la subtilité de ces 78 Fragments est de remonter d’un cran dans cet hommage. S’ils n’utilisaient auparavant que les instruments, là ils ont recours à des personnes qui avant eux ont fait vivre ces instruments. Sorte de mise en abîme où encore une fois l’on se perd, ne sachant parfois ce qui émane d’eux et ce qui est « original » – voire « originel ». Ils mélangent ainsi leurs projets aux initiaux, véhiculant en quelques minutes d’écoute un siècle d’histoire.
Si l’on vous recommande l’écoute de cet album dont les titres vous seront gentiment livrés au compte-goutte chaque mercredi que fait cet été, c’est donc parce qu’en plus d’être susceptible d’avoir envie de danser, pensez que du haut de ces monuments, un siècle vous observe.
Signature et crédits :
Le son : 78 Fragments est disponible à l’achat (9,90€) sur Bandcamp. Vous pourrez y écouter multitude d’origines datant de 1910-1940, retravaillées par les soins d’Axel Moon (Bağlama, Guitare, Basse, Oud, Lautar et j’en passe) ainsi que de Niko Shin (Synths variés : Prophet V, Mini Moog, Oberheim Two Voice, Six Trak, Cz 101 et Sampler Ensoniq Asr 10).
Le texte : Nils Savoye
Le visuel : Merci à Mélisande Girard qui s’est inspirée entre autres des instruments utilisés par Ko Shin Moon dans cet album.