Après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, la techno devient la bande originale d’une génération où elle exprime et s’exprime dans la ville réunifiée. Cette dernière offre les espaces désaffectés de l’ex-RDA pour célébrer cette nouvelle union des jeunes de l’Est et de l’Ouest à travers la techno. Rapidement les artistes de Detroit sont accueillis à Berlin comme Underground Resistance composé de Jeff Mills et Mike Banks entre autres. D’un point de vue symbolique, ce sont deux villes jumelles car deux villes détruites. Cependant, Detroit est en déclin alors que Berlin est en renaissance au niveau politique et économique mais également architectural. On peut par exemple voir une grande ressemblance visuelle entre la vieille gare de Detroit et le temple de la musique techno berlinoise : le Berghain.
Le fer de lance de la réunification
En juillet 1989, alors que la ville est toujours coupée en deux, la première Love Parade berlinoise est organisée dans le but de lutter contre le mur qui la sépare. Le mot d’ordre de cette manifestation « Peace, love, unity & respect for one another » traduit l’esprit de communion qui régnait dans la capitale allemande. La rave devient une manifestation de la jeunesse populaire et se retrouve rapidement dans les codes vestimentaires à travers des vêtements estampillés « trance ». La Love parade synthétise l’euphorie de la scène techno. Pour définir la vision de ces utopistes de la musique techno, on peut employer le terme de « technocratie » au sens de « pouvoir de la techno ». Le morceau emblématique « Hardtrance, Acperience » de Hardfloor traduit très bien ce mouvement berlinois en utilisant des paliers successifs et infinis et traduisant ainsi les différents états d’esprit du danseur/raveur : la trance, l’abandon, l’oubli. La chute du mur crée à Berlin une utopie communautaire qui s’accomplit dans l’euphorie de la scène techno.
Le reflet de la ville réunifiée
La techno de Berlin évoque donc l’univers et le squelette architectural de la capitale allemande dont le son percutant résonne dans les lieux oubliés et abandonnés. Le morceau « Der Klag Der Familie » qui se traduit par « Le son de la famille » produit par 3 Phase et Matthias Roeingh devient l’hymne de la Love Parade et un classique de la scène underground. En 1992, année de la sortie du morceau, la Love Parade rassemble près de 150 000 personnes (contre 150 en 1989) qui reflètent encore l’esprit familial de ce rassemblement. À travers les pulsions percutantes de la basse et des percussions accompagnées de sonorités métalliques et pierreuses, le morceau nous immerge dans cet univers brut et industriel. Au cours des années 1990, le son de la techno berlinoise se radicalise et devient de plus en plus brutal, prenant une forme davantage minimaliste. Cet esthétisme triomphe ensuite dans des clubs comme le Tresor d’abord puis deux décennies plus tard dans l’antre du fameux Berghain.
Un foyer source d’inspiration : Ellen Allien
Dans ces nouveaux espaces urbains de la capitale germanique émergent de nombreux artistes comme la djette et productrice Ellen Allien.[1] Née en 1969 à l’Est, elle découvre la musique électronique en 1988 dans le club londonien Wag. De retour à Berlin, elle jouit réellement de cette émulsion musicale à la chute du mur alors qu’elle n’a que 20 ans. Sa musique fait souvent référence à sa cité natale. Son premier album Stadtkind qui signifie littéralement « enfant de la ville » s’inspire directement de la culture musicale de ce cadre urbain. Sorti sur son label BPitch Control en 2001, il renouvelle la scène musicale allemande en mêlant refrain mélodique et créations sonores plus expérimentales. Son second album sorti en 2003 sur le label Shitkatapult fondé par Marco Haas et Sascha Ring (Apparat) porte également le titre équivoque de Berlinette. Elle y traduit les sonorités rauques et industrielles de la ville en y intégrant des vocaux mélodieux qui sont l’expression du lien social et artistique formé par cette situation inédite de la réunification.
Depuis 1989, Berlin n’a eu de cesse de se renouveler tout en gardant son essence originelle tant dans sa musique que dans sa manière de faire la fête devenant ainsi l’épicentre de la techno européenne.
[1] Le dernier article sur Détroit ne mettant en avant que des hommes, il me semble important de mettre en avant dans celui-ci une femme qui, de par sa discographie et ses performances, fait – a elle seule – le poids contre l’écurie de Détroit.
Un son : playlist concoctée par Albane Pedone, avec Hardfloor, 3 Phase Feat. Dr. Motte, Ellen Allien, Moderat, Ben Klock et Marcel Dettmann
Un texte : Albane Pedone
Un visuel : Matthieu Gobrecht