[DES PHOTOS SANS PHOTO #6] Portrait d’Athènes

Au détour d’une conversation, deux personnes évoquent le fait de “rater” des photos. Film mal enclenché, réglages mal faits, pile défectueuse ou même absence d’appareil photo au moment choisi… Nous avons décidé de retrouver ces clichés, en utilisant tout ce qui nous passerait sous la main sauf des photos. L’appel à contribution a été lancé début mars et voici la sixième “photo sans photo” réalisée par Marion Bonneau : Portrait d’Athènes. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).

Quelques jours pour parcourir Athènes,
La chance.
Retrouver Manon pour un moment,
Déjà trop court.

Elle part au travail le matin.
Je sors en même temps qu’elle,
Avec ses deux-trois conseils en tête.
J’ai tout à apprendre, à commencer par l’alphabet.

On se retrouve chaque soir,
Je lui pose ma tonne de questions.
Elle m’explique ce qu’elle sait,
Je comprends mieux.

Par exemple, le kafenio,
Espace de sociabilité réservé aux hommes
Mais où, j’avoue, je prends plaisir
À entrer chaque matin pour un café glacé.

Par exemple, Exárcheia,
Quartier autogéré à deux pas de chez elle,
Les affrontement fréquents avec les forces de l’ordre,
Qu’on ne peut pas deviner quand on y dîne dans le calme de la nuit.

Par exemple, les règles du backgammon,
Fin de journée en terrasse, avec une bière.
La chance d’une débutante,
Je gagne la première partie.

Mais sans elle, le jour, je traverse une ville que je ne connais pas.
Et sur mon chemin, se présentent les gens d’Athènes.
Seule, je fais facilement des rencontres.
Et l’hospitalité semble ici une réalité.

Dans la rue, on m’adresse la parole,
Mais c’est loin du commentaire déplacé
C’est une attention à l’autre, étranger,
Et une manière de raconter.

Je croise le chemin d’un homme très âgé,
Il regarde mon appareil photo argentique
Il me demande s’il est ancien,
Il me demande si je suis allemande.

Il comprend le français.
Je lui parle de mon Nikon EL2,
De l’homme qui me l’a offert,
Et je lui parle du Québec où je suis née, de Paris où je vis.

Il me raconte son amour pour la langue française,
Et son intérêt pour la photographie.
Il a un bel accent,
Un beau visage.

J’ose lui demander :
Puis-je vous prendre en photo,
Pour garder en mémoire
Cet échange agréable ?

Il refuse.
Il me dit qu’à son âge, le portrait ne vaut plus la peine.
Il me dit que la photographie, c’est pour conserver la beauté.
D’ailleurs, il garde une photographie de lui, jeune, il peut me la montrer.

J’insiste doucement, moi je trouve beau ce qui a vécu.
Il fouille dans son porte-feuille.
Et il me la montre, cette photographie.
Il est si fier, son visage s’illumine, mais je n’ose pas capturer son sourire.

Et c’est ainsi.
Il a réussi, à me marquer et me laisser pour souvenir
Cette image de jeunesse qu’il a choisi de faire durer.
Avec le temps, je ne me rappelle plus son visage.

Je n’ai pas la photo que j’espérais,
Mais celle que j’ai prise capte peut-être mieux ce que j’ai retenu d’Athènes.
Une ville au sourire insaisissable qui ouvre grand ses paumes ridées,
Pour offrir un joli pan d’histoire.

 

UN SON : Andromeda de Thanasis Papakonstantinou. Pas la préférée de Manon, mais au moins dans le top 3 des sons ramenés dans sa valise !

UN TEXTE : Marion Bonneau

UN VISUEL : La photo de la photo de la photo. Photographie argentique, prise en mai 2018.

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