[DES PHOTOS SANS PHOTO #5] Tu ne resteras qu’un souvenir

Souvenir d'une photo sans photo

Au détour d’une conversation, deux personnes évoquent le fait de “rater” des photos. Film mal enclenché, réglages mal faits, pile défectueuse ou même absence d’appareil photo au moment choisi… Nous avons décidé de retrouver ces clichés, en utilisant tout ce qui nous passerait sous la main sauf des photos. L’appel à contribution a été lancé début mars et voici la cinquième “photo sans photo” réalisée par Albane Pedone : Tu ne resteras qu’un souvenir. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).


L’achat

Ma vie était un peu sens dessus dessous et mon organisation assez approximative. J’avais du mal à gérer mes nombreuses allées et venues : chez les copaines, la famille, le théâtre et chez moi, à allier ces différents moments de ma vie. L’épidémie du Covid-19 n’aidant pas vraiment à y mettre de l’ordre. Alors, sans me rappeler vraiment pour quelles raisons, je ne me suis pas rendue au même endroit que d’habitude pour t’acheter. Mais dans une petite boutique Kodak un peu délabrée près de Jules Joffrin. 

Là, le vendeur m’annonce qu’il n’a pas de modèle standard mais seulement ceux waterproof. Il m’affirme que tu as exactement les mêmes fonctionnalités et ajoute même qu’en plus tu es moins cher. Contente, je décide d’en prendre deux. Alors que je m’apprête à payer par carte, l’on m’annonce que seulement les chèques ou les espèces sont acceptés. Je te règle alors en espèce, ne laissant ainsi aucune preuve de mon achat.

La soirée

Recouvert de ta boîte plastifiée, je faisais rouler ta molette jusqu’à ce qu’elle bute, signe que la photo pouvait être prise. Mais déjà là, à ton bruit presque sourd lors de cette étape, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Puis vint le moment central d’appuyer sur le déclencheur. Et alors que je m’attendais à ce que tu fasses un « clac » fort, puissant et profond sous la pression de mon index, je n’entendis qu’un léger et discret « clic ».  

« Clac », « clic », qu’un ressenti m’a-t-on dit mais au fond de moi le doute s’installait. Malgré tout, un soupçon d’espoir subsistait et je voulais y croire jusqu’au bout. Discernant qu’il y avait probablement un souci de lumière, j’ai même tenté de créer des flashs artificiels. J’ai donc persévéré et j’ai pris les 25 photos que tu contenais. Chaque fois un peu plus suspicieuse sur ta capacité à immortaliser mes souvenirs. A ce sentiment de méfiance qui s’installait, se mélangeait un peu de tristesse quant au présage du futur.

 Le développement

C’est bien ça! Quelques semaines plus tard, j’en ai eu le cœur net. Comme je m’en doutais, tu n’es, à deux exceptions près, qu’une plaque de carrés en nuances de gris avec des points de lumière par ci par là. Métaphore de la lumière au bout du tunnel ? Peut-être. 

Cette série de photos ne restera donc qu’un souvenir dans ma mémoire. Souvenir d’un instant presque hors du temps, calfeutrée dans un appartement parisien où des âmes nocturnes résistent face au temps distendu. 

Alors, sans preuve de ton existence, tu as bien incarné ton nom : jetable.  


UN SON : Morphine de Boy Harsher. Tout le très bon album Yr Body Is Nothing est à écouter ici

UN TEXTE : Albane Pedone

UN VISUEL : Planche contact du souvenir d’Albane

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