[CARTE POSTALE #21] Rêve #1

Rêve Numéro 1 de Laurent Tago Mago pour L'Escamoteur, Arbre Seul

Acte 1 :

Je suis à vélo dans une longue ligne droite en légère descente. L’air est tiède. Le ciel bleu est parsemé de gros nuages blancs. Des maisons colorées défilent de part et d’autre de la rue.

Je ne connais pas cet endroit.

Ma vue commence à se brouiller et j’ai l’impression que c’est à cause de l’air. Je sens que mes yeux se remplissent de liquide. Pas des larmes. Un liquide gluant, poisseux, qui m’aveugle. Je ne suis pas dans le noir mais ma vue troublée ne me laisse distinguer que des tâches grises et noires.

Je continue de pédaler en plissant les yeux. Je me dis qu’il faut vraiment que je m’arrête, que je vais finir par me faire mal.

Acte 2 :

A la porte d’entrée d’une maison, je descends trois marches pour entrer dans une pièce sombre. Je dois faire un effort pour décoller mes paupières de mes globes oculaires.

Un petit homme brun d’une quarantaine d’années m’accueille avec un sourire. Il est sombre comme une quetsche, porte un costume croisé et de grosses lunettes carrées à monture noire.

Je le distingue mal mais je l’imagine frisé. Au fond de la pièce, une large platine pour écouter des vinyles trône sur une table. L’homme met un disque et je reconnais Jorge Ben. Il me dit que c’est Caetano Veloso. Je lui dis non, c’est Jorge Ben. Il sourit.

A côté de la table, une porte ouverte donne sur une autre pièce. Près de cette porte, une vieille femme assise sur une simple chaise en bois me dévisage. Elle comprend que j’ai un problème de vue et me propose de me lécher les yeux pour me soigner. Je refuse. L’homme lui demande de ne pas insister. Je crois que c’est sa mère.

Il m’invite à le suivre dans l’autre pièce.

C’est un cabinet médical avec des appareils que je n’ai jamais vus.

Au fond, une porte-fenêtre donne sur un jardin ensoleillé.

Il me dit de me forcer à ouvrir les yeux, de tirer sur mes paupières même si ça fait mal. Je suis ses conseils et des formes aux couleurs vives m’apparaissent enfin. Je le remercie même si ma vue ne s’est pas encore complètement rétablie. Il sourit et m’invite à sortir dans le jardin.

Acte 3 :

Ce jardin, carré de pelouse délimité par une clôture en grillage métallique vert, dégage une chaleur qui enveloppe agréablement mon corps.

Au milieu, un seul et magnifique arbre est planté.

De l’autre côté de la clôture, un homme joue avec deux enfants. Ils sont joyeux et leurs rires et leurs cris me font du bien.

Je suis attiré par les feuilles qui tournent doucement, sans tomber, autour de l’arbre.

J’en attrape une au vol et je la regarde. Elle est comme un avion en papier qui aurait les ailes recourbées vers l’intérieur ; ces ailes sont découpées et se referment comme des petites mains sur le centre de la feuille. Je n’ai jamais vu de telles feuilles et je les trouve magnifiques.

J’entends un cri derrière moi et je vois le petit homme brun courir et s’écraser sur la clôture du fond, les bras en croix et tomber en arrière sur la pelouse dans un grand éclat de rire.

Je me rends compte que j’ai enfin retrouvé la vue.

Une phrase scandée avec force envahit mon esprit :

I WAS BLIND BUT NOW I CAN SEE.

I WAS BLIND BUT NOW I CAN SEE.

I WAS BLIND BUT NOW I CAN SEE.


Le son : Saku de Susuma Yokota.

Le texte : Un rêve de Laurent Ionesco, de la cantine musicale Tago Mago.

Le visuel : Photographie de Laurent Ionesco.


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Pour les curieux de la genèse du projet on vous raconte tout dans cet article.

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