[CARTE POSTALE #4] Fantômes de voyage : Et s’ils n’existaient qu’en photo ?

Voyages avec Manon Lefébure, une carte psotale pour L'Escamoteur

Je suis partie deux ans en voyage. Là où on vit avec un jour d’avance, à l’autre bout du monde. 

En deux ans j’ai rencontré beaucoup de gens, je me suis fait des amis, je suis même tombée amoureuse. Pourtant, je suis revenue seule. Et de ces âmes croisées, je ne ramenais que des photos. Des récits aussi. 

Des récits que je passais les premières semaines de mon retour à raconter. En boucle. Tentant de me raccrocher à la frise chronologique que j’avais créée dans ma tête, pour ne pas mélanger mes souvenirs. Plus je radotais, plus j’avais la sensation de m’en éloigner et d’oublier les émotions qui y étaient reliées ; comme une actrice lassée, qui aurait joué cent fois la même scène. Puis était venue cette amie, à qui j’avais une fois encore, machinalement répété les voyages et  montré les visages.

Mais ce jour là, je me perdais dans les dédales du détail.

J’avais perdu le fil de ma mémoire et celui de son attention. On s’était brusquement tues, toutes les deux, devant l’absurdité de l’échange.  

Confuse, je venais de réaliser que je pouvais lui raconter n’importe quoi. Que là, si je le voulais, il m’était possible de changer la version de l’histoire et d’en inventer d’autres, sans qu’elle ne puisse les vérifier. Que la réalité n’avait que mes mots pour vérité. Et que ces personnes, elle ne les rencontrerait jamais. 

En quelques secondes déjà, je mélangeais les voyages dans mon esprit. Prise d’angoisse, j’étais une Alice qui tombait de plus en plus profondément dans ses rêves. Je descendais les étages de mes souvenirs. 

Apeurée et inquiète, j’étais rentrée rapidement ce soir là, j’avais envie d’en avoir le cœur net. 

En déballant mes photos au sol, j’avais reçu son message. “Étrange après-midi. L’impression de ne pas t’avoir reconnue. Comme si tu étais tombée dans une carte postale.” 

Que voulait-elle dire par là ? Est-ce qu’à force de répéter ma vie, je l’avais vidée de sens ? D’authenticité ? Insinuait-elle que tout cela sonnait faux ? Ces personnes avaient-elles existé vraiment comme je les dépeignais? 

Le cœur battant, je fouillais les paysages et remontais la frise imaginaire. Plus je me forçais à fixer les photos et les gens, plus je me sentais mise en abîmes. On aurait dit une érotomane démasquée, qui réaliserait qu’elle a peut-être fini par croire réelle sa vie fantasmée. 

Mais parmi les petits Polaroïds, j’étais tombée sur son visage. 

Et entre mes doigts, le doute s’était volatilisé. Sur la photo, on y voyait ce compagnon familier qui avait guidé mes voyages durant des mois. J’étais là, avec lui, sur une plage paradisiaque. Si cette unique photo ne prouvait rien de son existence, mon cœur si. La sensation que je sentais en moi le savait réel. 

Et c’était instantanément valable pour tous les autres aussi. Mes fantômes de voyage. Ils étaient tous là, ramenés dans une valise intime et immatérielle. Qu’ils m’aient accompagnée pour une chanson ou pour des semaines d’aventures, l’important c’était cette marque qu’ils me laissaient au fond de moi. 

Invisibles à l’œil impatient, ils se voyaient au cœur nu. Ils s’entendraient bientôt à mes rires et se verront à mes gestes. Je n’aurai pas besoin de les présenter. Et ces amis que je retrouvais aujourd’hui, finiraient, eux aussi, par les voir apparaître. Hors de la carte postale. 

Alors, apaisée, je pris un feutre et au dos de l’un des petits cartons glacés, je dessinais un timbre. Sans destinataire et sans adresse, j’avais signé “merci.”


Le son : En Lea de Muddy Monk, sur l’album Longue Ride (à prononcer longue raïde bien sûr) sorti le 14 décembre 2018 sur le label Half Awake.

Le texte : Manon Lefébure

Le visuel : Manon Lefébure et Maxime Carquillat


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