Dans la première partie, on avait exploré les influences mélodiques et aériennes venant du disco et sombres et brutes du post-punk industriel. Nous verrons ici comment la techno emprunte à la musique afro-américaine en se réappropriant son imaginaire.
Les sonorités jazz, funk et hip-hop
Cette musique trouve ses ascendances dans le jazz, le funk ou le hip-hop des origines. Dans Electrochoc, L’intégrale 1987-2013 de Laurent Garnier et David Brun-Lambert, Jeff Mills évoque cette influence : « De 1979 à 1981, les premières rumeurs sur le hip-hop nous parvenait depuis New York via Chicago. C’était l’apparition d’une culture de rue comprenant danse, graffitis, rap et Djing, avec des inventions fulgurante comme le scratch. Une culture globale et communautaire créée par et pour les ghettos. » Cette musique afro-américaine est basée sur un son très synthétique porté par des boites à rythme très tranchantes. Au début des années 1980, elle est appelée de l’électro ou encore de l’électro-funk. Le morceau d’Herbie Hancock (un des premiers jazzman à se servir des machines), « Rock it », Future Shock (1981) traduit cette influence jazz. Cependant, il faut souligner que cette filiation n’a pas été très bien reçue par les gens du jazz car ces derniers considéraient que ce n’était pas une musique noble. Ce morceau est pourtant un des grands succès populaires et cross-over de l’époque. De même, le duo Cybotron de Juan Atkins et Rick Davis est très emprunt de l’héritage du funk et se rêve comme des Kraftwerk américains. Leur morceau « Clear » est souvent considéré comme un des premiers morceaux techno de Détroit même s’il reste caractéristique de l’électro funk.
L’imaginaire futuriste et cosmique
Lorsque ces artistes afro-américains sortent leurs premiers maxis en 1981, 1982, 1983, ils s’inscrivent dans cette esthétique électro-funk qui transmet l’idée d’un rêve d’un monde futuriste et marqué par un imaginaire cosmique. Cette vision peut refléter le monde de Star Wars ce qui s’explique par le fait que ces artistes sont des « enfants de Star Wars » (le premier film sort en 1977, alors qu’ils étaient adolescents). Ils sont marqués à jamais par cet imaginaire qui se retrouve depuis le début de la musique noire américaine avec notamment le gospel. Ce mouvement qui a donc beaucoup rêvé alors que, paradoxalement, il est souvent décrit comme très proche du quotidien à l’image du rap. En effet, la techno est l’un des emblèmes de cette musique qui rêve d’autres machines, d’autres technologies et englobe une synthèse très réussie de ces idées. Elle traduit cet imaginaire cosmique, futuriste de l’échappatoire qui a marqué une grande partie des musiciens visionnaires afro-américains allant de la Jamaïque à l’Amérique du Nord. La citation « We create tomorrow and live in your imagination. We will never die » d’Underground Resistance résume bien leur vision de la musique et du monde. Plus qu’un esthétisme cette vision est presque une philosophie qui a marqué tous les genres musicaux. Cette idée d’un ailleurs pénètre toutes les sphères de la production musicale en étant aussi bien stylisée musicalement que visuellement à travers le marketing et la promotion. Dans son ouvrage Digital Magma, Jean-Yves Leloup met notamment en avant « le culte de l’invisible, l’art de la réclusion » qui se traduit par le « marketing de l’absence et de la réserve. » Ainsi, « UR s’est construit une forme de mythologie rebelle et afro-futuriste qui a inspiré nombre d’artiste et auditeurs. » dont un des objectifs était « d’échapper au modèle traditionnel de la promotion. »
Tous ces courants donnent l’impression d’une nouveauté constante et d’une volonté de faire table rase avec les années 1970. Durant cette période, la techno oublie son passé car elle se veut futuriste et millénariste. A l’inverse, aujourd’hui, la techno tente davantage de se réapproprier ce passé.
Le son : Playlist de Albane Pedone avec Herbie Hancock, Cybotron et Underground Resistance. Si vous l’avez manquée, elle était en début d’article et il suffit de cliquer sur le petit triangle youtubesque.
Le texte : Mots de Albane Pedone
Le visuel : Traits de Anaïs Fontanges