Digger aux origines de la techno – Partie 1 : Du disco au post-punk industriel

Disco power chez L'Escamoteur, dessin de Margot Amssi

Depuis toujours la musique techno a fait partie de ma vie puisque j’ai la chance d’avoir été initiée à ce genre très tôt par mon père à travers les sons de Kraftwerk, Front 242 ou encore de la bande originale de Midnight Express. Au long de deux articles, j’explore les différentes esthétiques qui ont marqué l’émergence de cette musique : le disco, la musique industrielle post-punk et la musique afro-américaine des années 1980. La techno se construit à partir d’échanges constants entre les Etats-Unis et l’Europe. Dans cette première partie nous verrons deux courants qui, bien qu’ils paraissent antagonistes au premier abord, se complètent pour insuffler les prémices de la techno. [SECONDE PARTIE A LIRE ICI]

Les mots n’ont pas d’importance ?

Avant toute chose, il est difficile de savoir ce qu’il y a exactement derrière les mots « techno », « électro », « house », « edm », « computer musique » (très scientifique et très américain), « musique électronique » au singulier ou « musiques électroniques » au pluriel (ensemble des mouvements). Ces termes très généraux décrivent des mouvances très différentes et leurs significations varient dans le temps. Ainsi, l’expression « techno » est très vague et traduit à la fois un courant, une esthétique, une forme de revendication et un imaginaire très varié. À l’origine, le mot « techno » est utilisé pour parler de cette musique percussive, percutante, minimaliste et électronique basée sur un travail de timbre qui n’a pas véritablement de refrain. Une de ses caractéristiques est qu’elle utilise à la fois des sons créés par des machines grâce à un signal électrique et des sons enregistrés et transformés du monde environnant. Ainsi, la techno comme ses ascendances et ses dérivées repose d’une part, sur l’enregistrement et la transformation du son et d’autre part, sur la synthétisation du son par des machines. Finalement, les différences entre ces termes ne sont que peu déterminantes, car même si la réflexion s’articule autour de la techno, ce qui importe davantage est la construction d’un imaginaire commun.

La musique comme reflet de la société

L’intérêt du terme de « techno » se joue dans la création de cette allégorie sociale. En effet, il traduit la manière dont la musique peut nous parler de la société dans laquelle nous vivons. Ainsi, lorsque nous nous intéressons aux origines de la musique électronique et de la techno, nous pouvons y trouver un éclairage sur la société et sur les différentes cultures. A partir de la fin des années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990, une grande partie de la musique est transformée, recyclée en Europe et aux Etats Unis. Cette période doit être perçue comme un renouvellement à la fois de la dance music américaine très marquée par l’histoire afro-américaine (disco, soul, funk, blues, jazz) et de la musique européenne allemande, belge, britannique (pop synthétique, new wave). La techno prend racine dans ces esthétiques diverses qui se traduisent à la fois à travers les harmonies des synthétiseurs et les percussions industrielles du sampling (transformation des sons de notre environnement en une matière sonore). Ces deux dimensions sont toujours présentes dans la musique électronique actuelle.

La culture disco

Le disco des origines (1971/1972-1978) est une musique qui utilise des instruments traditionnels venant du funk et du blues. Au croisement des années 1970 et 1980, le disco devient de plus en plus synthétique et repose sur des basses qui sont plus puissantes et rebondies. Avec des personnalités comme Giorgio Moroder, il prend une forme plus percussive, minimaliste et électronique. Cette mutation très synthétique annonce très clairement la techno. Par exemple, la musique du film Midnight Express, « The Chase », composée par Giorgio Moroder, a été jouée dans les premières raves françaises par les Dj noirs américains. Les deux natures de la techno sont visibles dans le disco avec d’une part, le côté purement synthétique avec les harmonies de synthétiseurs parfois mélodiques créées par des instruments de synthèse et d’autre part, le côté sampling avec ces percussions industrielles qui reflètent le monde environnant. Ainsi, la musique disco en devenant de plus en plus percussive allie les sons synthétiques et le sampling, procédé caractéristique de la techno.

L’apparition d’une musique industrielle post-punk

Cette forme musicale est une pop synthétique qui utilise, là encore, à la fois des samples de percussions scandées et des sons du quotidien industriel. Il est important de souligner que ce sont les morceaux issus de cette musique qui ont imaginé le futur de la techno. Ainsi, un des premiers morceaux caractéristiques de cette esthétique est « Numbers » du groupe allemand Kraftwerk sur l’album Computer World (1981). Il a inspiré toute la vague noire américaine de la techno mais aussi une partie du hip-hop. Groupe allemand qui commence sa carrière à la fin des années 1960 à Düsseldorf, Kraftwerk donne forme, à partir des années 1970, aux esthétiques et aux thématiques qui seront celles de la techno. A travers leurs morceaux, ils posent la base de cette forme de percussions mécaniques, industrielles et qui reflète aussi ce monde à la fois technologique et urbain. Ainsi, le morceau assez rythmique en forme de slogan basé sur de onomatopées, « Techno Pop » sur Electric Cafe (1986) sert en quelque sorte de manifeste à ce style musical.

En Belgique, Front 242 est également important pour la techno notamment à travers l’album Black, White, Blue (1982). Le groupe est originaire de la musique industrielle post-punk qui prend racine avec la déflagration du punk à partir de 1977. Les thématiques de cet héritage industriel reflètent l’imaginaire de l’époque autour de la Guerre Froide, de la tyrannie, de la violence politique des dictatures et de la propagande. Cela crée une certaine forme de militantisme tributaire et héritier de ces années un peu noires pouvant aller de l’extrême gauche à l’extrême droite. Ainsi, ce courant transmet un imaginaire politique très sombre et qui reflète cette autre couleur de la techno.


Le son : Playlist de Albane Pedone avec Giorgio Moroder, Kraftwerk, Front 242, Yellow Magic Orchestra et Tangerine Dream. Si vous l’avez manquée, elle était en début d’article et il suffit de cliquer sur le petit triangle youtubesque.

Le texte : Mots de Albane Pedone

Le visuel : Traits de Margot Sounack

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