Ça y est, j’entends du bruit à l’étage, signe du réveil de nos parents et de la fin de ce moment suspendu.
Au son plus que reconnaissable du grommellement post ronflement de mon père et du réveil strident et répétitif de la chambre conjugale, moi-même et mes frères nous faufilons tels des chats, paniqués et légers vers nos lits respectifs, couvrants nos corps fébriles de draps lourds et frais, et tentant de régler nos respirations sur le rythme imperceptible des rayons puissants et silencieux du soleil perçant les épais rideaux de la chambre.
…
Le calme retrouvé, la porte s’ouvre délicatement sur ce même rythme semi ensommeillé, et une voix lourde des rêves passés s’élève dans la quiétude pour retomber comme une pierre : « il est l’heure de se lever les enfants ».
Le défilé militaire commence.
Millimétré à défaut d’être tout à fait efficace, c’est une chorégraphie toute industrielle qui s’invite dans le décor de notre maison familiale, et malgré mes 8 ans je comprends déjà la violence qui nous est faite dans nos chairs de jeunes animaux. Les parents ont à peine retrouvé l’usage de la parole que le lait et le café coulent à flot, la télé braille et nous crache des images terribles, les bras se lèvent pour recevoir de multiples couches de tissus et les dents étincellent sous la mousse du dentifrice. Enfin assurés que tout les membres de cette famille ressemblent enfin à des êtres humains décents, droits sur leurs jambes, nourris et sentant la vanille chimique, maman jette un dernier coup d’oeil sur l’horloge avant de délivrer ses ultimes recommandations, toujours les mêmes : « je reviens à midi, surveille bien tes frères et s’il y a le moindre problème appelle moi au bureau, le numéro est noté sur le post it, soyez sages, je vous aime ».
Alignés derrière la fenêtre du salon, nous guettons tout les trois agenouillés sur le canapé, propres et civilisés pour adresser un dernier salut à la voiture familiale qui s’éloigne dans la rue. Nos parents pourraient trouver cela émouvant : peut être se doutent-ils que nous attendons juste qu’ils disparaissent de notre champ de vision pour reprendre nos activités de bêtes féroces. L’expérience m’a appris qu’il fallait attendre 10 minutes après leur départ, au cas où un dossier ou un trousseau de clef ait été égaré, avant d’ôter les pulls et de déboutonner les cols pour se vautrer dans la terre.
A mon signal, les enfants de cette maison dévoilent leur véritable nature, sorcière et loup, petits dieux et félins sauvages. Nos activités de prédilection peuvent reprendre dans la brume du jardin matinal, récolte de fleurs superbes et de boue malodorante à intégrer dans la potion magique, enterrements d’escargots, courses poursuites tapies dans les herbes hautes et vol d’épis dans le champ de maïs voisin pour nourrir les oiseaux de notre territoire. Toujours se méfier du voisin ; courir dans un champ de maïs aux feuilles aiguisées comme des rasoirs est fortement déconseillé. Imiter le coq, essayer de se laisser apprivoiser par lui. Gratter le sol de nos ongles courts, gouter un ver de terre, pour voir.
Essoufflés et transpirants, étonnés de tout ce dont nous sommes capables, s’allonger dans l’herbe et regarder le vol des oiseaux, la terre nous soutenant comme aucune autre mère n’en serait capable.
Mais le soleil montant progressivement dans le ciel, la crainte s’allume dans le tableau de contrôle de mon cerveau déjà bien formaté. Bientôt 11h30, maman va rentrer à la maison, la table n’est pas mise et nous ne sommes définitivement pas présentables, débraillés et brindilles dans les boucles blondes.
ESCADAVRES EXQUIS. Définition : Des œuvres à six mains qui mélangent illustration, récit et hasard.
II – Le texte :
Le premier rédacteur A rédige un texte. Il transmet sa dernière phrase au rédacteur B. B doit continuer le texte de A. Cette étape peut se répéter à l’infini.
I – Le dessin :
Une personne A’ reçoit les texte A+B. Il doit imaginer un dessin qui illustrerait les deux textes. Il envoie le quart droit de son dessin à B’. B’ reçoit un quart droit de dessin, et les texte B+C.
De jeunes animaux à l’enterrement d’un escargot. Le troisième épisode intitulé Un matin paisible, finissait par une phrase de Albane Pedone que vous trouvez en gras au début de ce texte. Ici, le texte est prolongé par Fanny M. La partie gauche du visuel est de Matthieu Gobrecht. Pour la partie droite c’est Ben Ytruso.
La suite, qui repart du visuel de Ben et de la dernière phrase de ce texte (en gras ci-dessus), est à découvrir dans le cinquième et dernier épisode.