#2 – L’Escamonaute. Deuxième partie : Le Panier

Le Panier par Audrey Perzo et Marion Bonneau

Je dégoupille une bière pour profiter pleinement de la vue. Et c’est là que je réalise, en regardant s’éloigner cette « planète bleue » devenue aussi rouge qu’une orange, que je suis la première femme astronaute qui posera le pied sur une autre planète.

La planète Terre est belle, dans cette immensité, accompagnée des autres points colorés de notre système planétaire qu’on appelle « le panier ». Le point rouge de la Terre, rétrécit peu à peu à mesure que je m’éloigne. Dès qu’on a décollé, j’ai senti pleinement le changement, là ça y est.

Les planètes du « panier » sont là, toutes disposées, familières mais teintées d’un sentiment d’étrangeté. Le paysage est le même, mais vu d’une autre hauteur, différent. A moins que ça soit moi qui ait changé, mes pensées s’enchainent et s’envolent.

Je souris, je repense à mes camarades qui trouvaient déjà que je me posais trop de questions, trop de questions sur l’école d’aviation, sur les explorations à mener… D’aussi loin que je me souvienne, on nous a toujours parlé des explorations spatiales. Tout tournait autour de ça, se préparer pour le voyage, se préparer au décollage, aux explorations, enfiler son costume d’astronaute. Je ne me souviens pas de la première fois où je l’ai enfilé, j’ai l’impression d’avoir toujours vécu avec ce scaphandre, engoncé de la tête aux pieds, blanc et boudiné avec une visière noir pour voir. Je ne me souviens pas non plus des autres sans ce scaphandre.

Les autres, ils ont décollé en même temps, on avait chacun sa mission, chacun son trajet. Après le vacarme du départ, c’est le silence, le calme. Ça fait du bien, un peu de tranquillité, après tout ces moments de fourmillement.

Je sens l’ivresse, mélange de houblon et de nouvelle vie, ma vue se trouble, je ferme les yeux. Je cligne des yeux, ça ne va pas mieux, ce n’est plus une Terre que je vois, mais deux, non, pas deux, mais 6, 24. À travers le hublot, les images semblent se réfléchir à l’infini.

J’essaie de toucher le hublot, sans succès, comme si le verre lisse était maintenant composé de multiples facettes. Impossible de se détacher de là, impossible d’aller voir à un autre hublot. J’ai cette sensation depuis le décollage, alors que toute notre préparation aboutissait à ce moment-là, alors que j’aurai dû être en pleine conscience de tous les gestes, mille fois répétés, que tout se mélange, la vue est trouble, les sensations sont fondues. Je ne me souviens pas avoir enlevé le scaphandre, j’étais dans la navette ce matin au réveil. C’était le signal du départ, j’étais la navette ce matin au réveil.

Je déplace le bras mécanique à l’extérieur pour le ramener auprès de la navette, les risques de collision sont trop fréquents et la perte d’un des six bras serait vraiment dommageable pour le reste de la mission.

Le vol continue avec cette étrange sensation de flotter, si différente de tout ce que j’ai ressenti avant, clouée au sol, dans ma lourde combinaison. Comme si je comprenais alors que je n’avais fait que ramper au sol jusqu’à présent.

Je regarde à nouveaux par le hublot, j’aperçois une étoile filante au loin, une comète à cinq branches qui se prolongent en une longue traînée rosâtre. Je vois sa trajectoire, elle va croiser la Terre, ils auront sûrement un beau spectacle en bas. Mauvais pressentiment et la comète heurte la Terre, non pas une fois, mais mille fois, images répétées sur l’ensemble des écrans, sur toutes les facettes. Avec la collision, la planète explose, la croûte terrestre est séparée du noyau. Une deuxième comète vient frapper ce qu’il reste, la partie interne est séparée en multiples quartiers qui disparaissent dans l’immensité vide.

Les prédictions se vérifient et la roue tourne, toute une vie à se préparer à partir, dans l’attente de la catastrophe à venir. Toute une vie de préparation pour continuer la vie, pour disséminer la vie par-delà l’espace. Je relance la propulsion de la navette, son bourdonnement reprend. Plus rien ne m’attache ici et il ne me reste qu’à partir à la recherche d’une autre planète orange ou rouge ou verte.

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ESCADAVRES EXQUIS. Définition : Des œuvres à six mains qui mélangent illustration, récit et hasard.

II – Le texte :
Le premier rédacteur A rédige un texte. Il transmet sa dernière phrase au rédacteur B. B doit continuer le texte de A. Cette étape peut se répéter à l’infini.

I – Le dessin :
Une personne A’ reçoit les texte A+B. Il doit imaginer un dessin qui illustrerait les deux textes. Il envoie le quart droit de son dessin à B’. B’ reçoit un quart droit de dessin, et les texte B+C.


Le Panier. Le premier épisode intitulé 2058, finissait par une phrase de Marie Lacroix que vous trouvez en gras au début de ce texte. Ici, le texte est prolongé par Pierre-Yves Liberatore. La partie gauche du visuel est de Audrey Perzo. Pour la partie droite c’est Marion Bonneau.

La suite, qui repart du visuel de Marion et de la dernière phrase du texte de Pierre-Yves (en gras ci-dessus), est à découvrir dans le troisième épisode. Il y en a Sept en tout, qui forment une boucle.

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