Voyage au bout de la parapsy

Illu de FRSW pour L'Escamoteur - Escapade en parapsy
Illu de FRSW pour L’Escamoteur – Escapade en parapsy

Depuis Paris, nous quittons le Sud-Est pour le Nord-Ouest par un périple alliant lignes 14 et 3, decrescendo. Descente dans le quartier résidentiel qui sent le fast-food. En demandant à une dame où se trouve l’espace Champerret elle nous propose de vendre des places, nous apprenons donc que l’entrée est payante. Les Escalators nous avalent et nous débouchons sur ce que l’on pourrait prendre pour un centre commercial. Sur notre gauche, le salon du livre ancien, sur notre droite, le salon de la parapsy. En sachant que l’entrée du second coûte la modique somme de huit euros, nous nous renseignons pour l’autre. Hélas il est à dix euros… Nous faisons des tours dans cette halle vide de gens, nous regardons à travers les vitres et voyons des pierres apparemment précieuses, des fruits confits, des gens faisant la queue et de petits stands qui ne semblent pas si surnaturels.

On se tâte. Huit euros, ça fait quand même cher pour aller voir ce que nous nous imaginons : de vieux fous nous enseignant notre futur, des principes nobles sans doute viciés par le nécessaire aspect économique que revêt la chose. Une place dans un salon est un coût qu’il convient de rentabiliser. Mais non, nous sommes trop rationnels. En pleine lecture de Umberto Eco qui dans Le Pendule de Foucault nous expose tous les mythes liés à l’obscurantisme et à ces sciences hermétiques que nous allons peut-être découvrir aujourd’hui, je salive. Le plus curieux de nous trois s’impose. C’est con après tout, maintenant que nous avons fait le voyage, pourquoi rentrer chez nous ? D’habitude nous rapportons les choses au prix de la pinte, ici nous le rapportons au prix du cinéma – allez savoir pourquoi. Donc nous entrons et rendons grâce à ces huit euros, l’expérience fut totalisante.

Souffle le vent de la parapsy

Le territoire est quadrillé : droite, gauche, tout droit sont nos seules possibilités dans ce monde où les considérations matérielles semblent bien hors de propos. Le premier objet qui attire notre attention est ce stand qui vend des pierres de Madagascar. Elles soignent, elles sont recueillies et transportées ici « SANS INTERMÉDIAIRE » nous dit-on. Il est intéressant de voir à chaque fois sur quels détails les stands s’arrêtent. Ici c’est l’origine des choses, là la définition professionnelle de chacun, ailleurs l’objet de ses tentatives.

La seconde chose qui fixe notre attention est l’ouverture de ce public. Obscurantisme, voyance et autres pratiques de parapsychologie sont taxés d’une mauvaise réputation. Ils se fermeraient comme des tortues lorsqu’on tente de les approcher. Or l’anthropologue et les deux historiens en herbe sont chaleureusement accueillis. Marie-Annonciate, médium, tarologue et voyante nous expose des pans de sa vie. Son père replaçait les nerfs, elle soigne les brûlures. Elle n’a pas tout de suite su que son don était là et n’a même pas cherché à le trouver, comme ces fils de qui refusent l’héritage qu’on leur a implicitement légué le jour où ils sont venus au monde. Mais voilà qu’un soir son fils se brûle en soudant. Il l’appelle et elle le soigne indirectement. Le processus est flou mais depuis ce jour et de par son souffle, cette dame a acquis une technique dont elle vend aujourd’hui les mérites.

 

Discours et légitimité parapsy

Puis une belle femme nous accoste. Nos regards sont captés et à la moindre interaction ils sont saisis. Dès lors une stratégie se met en place qui passe essentiellement par le regard et l’attitude générale. Certaines sont agressives et souhaitent imposer une consultation, d’autres sont douces et passent par le questionnement et la preuve d’une curiosité mutuelle. Parfois même au vu du procédé rituel on trouve de troublantes analogies. Éventuellement suit à ces invectives une réponse positive du client puis les deux pénètrent dans l’espace clos matérialisé par des plaques préfabriquées dont la dernière paroi se matérialise à notre regard : le rideau s’est fermé. On songe alors à toute cette mauvaise presse qu’a subi la parapsy et on comprend. L’imaginaire collectif fabrique des liens sur de simples intuitions. Quand la consultation se fait passe.

Recommandée par le Guide de la Voyance, cette médium, voyante, astrologue et magnétiseur nous raconte comment elle en est arrivée là. Les stratégies de légitimation font foule. Il s’agit de montrer que la technique qu’on prétend maîtriser a fait ses preuves par le passé. Certains collent des articles de journaux où on les voit cités comme médium : untel avait prédit la réélection de Nicolas Sarkozy ou le succès international de Julien Doré. Un autre met en avant le Nostradamus d’or qu’il a gagné ou sa participation à l’antenne de télévision RTV. Cette dernière organise des formations pour magnétiseurs et praticiens en énergétique et comme tous elle nous affirme que chacun de nous détiendrait les prémisses. Il suffirait donc d’un déclic ou d’une posture particulière pour découvrir ce qui semble être un don.

Francis au calme

Et c’est là que ça devient le bordel. Parce qu’on a beau être à Porte de Champerret, on a beau être dans un salon de parapsychologie pour découvrir une des faces cachées de notre monde actuel, bah on n’avait pas prévu de voir Francis Lalanne. On a pourtant bien entendu son nom prononcé par l’homme de l’estrade, on l’a pourtant bien vu monter sur cette foutue estrade. Le salon est sous le signe de la Saint-Valentin et il vient nous lire ses poèmes d’amour. C’est touchant. L’homme descend de l’estrade après avoir précisé qu’il signait des autographes de son bouquin au stand B212 et là une femme se prend en photo avec lui. La vie de tous les jours quoi.

Vincent grandiloquent

Qu’à cela ne tienne, les stands d’orties, de philosophie de la couleur, de sel de la mer morte régénérant et de fruits confits continuent d’attirer notre regard. L’espace en L laisse place à une tribune, celle d’un certain Vincent. Nous arrivons au milieu du discours et je sors mon carnet. Je ne sors mon carnet que quand je veux absolument retenir quelque chose. « Wifi intergalactique » nous dit notre ami Vincent. « Plexus solaire ». Il nous parle d’équilibre intérieur et de soins alternatifs. Visionnaire, il remplace le blanc et le noir du ying et du yang par du platine et de l’or.

Les questions arrivent : « Comment parvenez-vous à soigner les gens ? » demande une dame. « Tu vois, toi ? J’ai accès à ta structure. » Oui, on tutoie le public. On accède à sa structure ni vu ni connu. « Les anciens faisaient des poupées vaudous, je fais des hologrammes. Des comme moi j’aimerais bien en rencontrer. » Reprenant inconsciemment l’allégorie de la caverne, il nous affirme être parmi les seuls à y voir clair, il nous affirme se sentir un peu seul face à ce que nous convenons d’appeler tant d’ignorance.

Nous repartons, les lèvres meurtries de trop les avoir pincées mais le sourire qui demeure. Un débriefing s’impose. Un tour final des stands aussi. Nous nous surprenons à voir du Alphonse Daudet dans un des bouquinistes du salon. Les propositions sont hétéroclites, on y voit les Templiers – toujours eux – la Kabbale, presque les Rose-Croix, Stefan Zweig et son Combat contre le démon. Tant de références liées soit par leurs auteurs – un abbé dont le nom est oublié – soit par leurs thèmes : un mot du corpus propre aux parapsychologies est sans cesse représenté. Il suffit d’avoir l’occurrence de démon ou étrange dans le titre pour qu’il soit dans la bibliothèque.

Clôture des festivités

Nous tombons au final sur Dana – le don en sanscrit si je me souviens bien. Elle se livre, est gentille et a l’air attentionnée. On ne saura jamais si c’est de la stratégie de communication. Beaucoup donnent leurs cartes et espèrent un appel. Il semblerait que la majorité des liens se créent ainsi. Les clients sont alors prêts à faire des kilomètres pour trouver la bonne personne et se faire aider. Etonnant non ?

 

Cet article participatif est l’oeuvre de :

FRSW l’homme secret et sa magnifique illustration inspirée du tarot.

Nils Savoye pour le texte.

Enfin, le son a été déniché par FRSW. A son propos : En 1967, le collectionneur d’instruments Paul Beaver est le premier à faire voyager le synthétiseur Moog sur la côte Ouest américaine. Jusque là il ne faisait que des musiques de film, mais ici son Moog est accompagné de Cyrus Faryar à la narration pour un album concept. 12 signes, 12 titres : le Zodiac.

 

S'inscrire à notre newsletter

L'Escamolettre revient une fois par mois sur les derniers projets de l'association.