Vivaces, récits photosensibles de Sandra de Vivies

vivaces de sandra de vivies aux éditions la place
[Vivace, adj. Qui est doté d’une forte vitalité, qui est bâti pour vivre longtemps. Qui fait preuve de vie, de dynamisme, d’enthousiasme. Plante vivace. Plante qui vit plus de deux ans en fleurissant et produisant à plusieurs reprises.] Dès qu’on prononce le titre et son autrice, on voit un cercle se former, comme si vivaces était l’anagramme de Vivies. vivaces. Vivies. Vivies. vivaces. Parus aux éditions La place, ces huit “récits photosensibles” – c’est ce qu’on peut lire en sous-titre une fois tournée la première de couverture – proposent un tour du monde en changeant de sujets, de temporalités, de narratrice. Et toujours la photographie accompagne le texte, comme une manière de montrer doublement pour être sûr que la lectrice a bien vu.

Récits photosensibles

A l’image d’une Annie Ernaux*, Sandra de Vivies part et repart de photographies – dont elle a pris la majorité – pour élaborer un récit autobiographique qui parle non pas d’elle-même si ce n’est de l’ensemble de sa génération. L’ensemble en regardant vers le passé et le futur. L’ensemble en ne se cantonnant pas aux humains mais en regardant également le vivant que sont les plantes et les animaux. Le tout pour cerner le présent à une nouvelle échelle.

Ces récits nous éclairent avec des lumières bien spécifiques. Dans camera oscura et entrechats qui ouvrent le bal, celle des faits observés et relatés avec minutie, à l’image des inventaires d’un Pérec ou d’un Gombrowicz. Dans eau-forte et corps palimpsestes, celle plus mystérieuse des mémoires familiales de bouches à oreilles et intuitions éternelles. Dans les quatre autres, celles de personnages enfouis dans la nature et qui nous questionnent sur ce qu’on lui fait, à la nature.

Prendre c’est voler

Nombreuses sont alors les analogies mises en place par l’autrice afin de raviver notre connexion, notre empathie envers ce vivant. Le verbe « prendre », par exemple, qui revient comme une mélodie tout le long du livre. Les photographies qu’elle prend, qui sont des natures mortes – encore une expression sur laquelle l’autrice aurait mille choses à dire – ne volent rien à personne. A l’inverse, elle explique : prendre implique que quelqu’un, quelque chose soit pris. Des terres australes aux femmes en passant par les noms des plantes. Détournant le fameux « donner c’est donner, reprendre c’est voler », vivaces nous chuchoterait plutôt « prendre c’est voler » comme un slogan pour prolonger  la libération de la parole.

Et de nouvelles opprimées trouvent dans ce livre pignon sur rue. La flore urbaine. Celle qui est respectée, celle qui est méprisée. On se retrouve à écouter le discours de cette flore qu’on déracine en la qualifiant de mauvaise ou de folle. On repense aux origines de l’hystérie : maladie prêtée exclusivement aux femmes et décrite essentiellement par des hommes.

On contemple aussi l’animal qui disparaît, et on ne sait plus si la première personne que Sandra de Vivies utilise est elle-même ou si petit à petit elle devient ledit animal, une mhorr. « qui de la mhorr ou de nous est réfugié climatique ». Une question sans réponse. Une question sans point d’interrogation. On finit le livre en se demandant si finalement être pleinement ce ne serait pas devenir petit à petit cet animal, ou tout du moins saisir à quel point nos destins sont liés.


Vivaces de Sandra de Vivies est disponible (15€) en librairie et via le site internet des éditions La place.

UN SON : Music for 18 Musicians de Steve Reich

UN TEXTE : Nils Savoye

UN VISUEL : Photographie de Sandra de Vivies, graphisme de Hartland Villa

*Il semblerait que les éditions La place ne sont point étrangères à cette autrice, connue notamment pour son roman La place.

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