Le 22 septembre 1960, la récente république soudanaise indépendante proclame sa seconde indépendance pour devenir le Mali. Pendant huit ans, Modibo Keïta tente de gouverner le pays en appliquant ses idéaux panafricaiste et socialiste. Puis, cet ancien instituteur subit avec l’ensemble du pays le coup d’Etat de Moussa Traoré en 1968. La liesse post-indépendance des Maliens disparaît alors. Elle disparaît avec l’instauration d’un régime policier (parti unique, instituteurs surveillés et j’en passe). Ce qui reste, ce sont alors les souvenirs de cet éphémère éden. Les souvenirs, tout autant que les photos. Parmi elles, on compte celles de Malick Sidibé.
Malick Sidibé se révèle
Malick Sidibé est né dans un village à la frontière du Mali et de la Guinée. Sa famille peule lui offre une enfance de berger, bouvier et cultivateur. Il va à l’école francophone et fait des études de dessin et de bijoutier à l’école des artisans soudanais (Bamako). Ses premiers pas dans l’univers photographique se font aux côtés de Gégé la Pellicule. Oui, on peut se faire surnommer Gégé et être stylé, c’est ça la magie des années 50. Ce dernier a un studio et c’est Malick qui en fait la décoration. L’étape suivante est qu’il acquiert un Kodak Brownie Flash. Dès lors, il a son appareil photo et commence ses prises.
Noctambules bamakois se font révéler
C’est apparemment à partir de 1957, avant l’indépendance donc, que Malick Sidibé commence à photographier les soirées bamakoises. Il suit cette jeunesse dans les boîtes de nuit de la capitale ou même chez eux. A vélo ou sur son Solex, il erre entre les diverses soirées avec son équipement. Les jeunes posent alors, certains arborant les vinyles de leurs groupes préférés. Déjà on voit James Brown : certains hits sont mondiaux et on reconnaît même l’héritage de la présence française avec le succès par exemple des Chaussettes Noires de notre regretté Johnny national.
Les jeunes pris en photo forment parfois des bandes et prennent les noms de leurs idoles ou autre : les “Djentlemanes” par exemple. L’oeil de Bamako – c’est comme ça que se fera surnommer Malick Sidibé – est alors la coqueluche des soirées et il reçoit même des “prieries”, à savoir des invitations aux soirées privées où les jeunes veulent être pris en photo. Il les suit même dans leurs après-midi vaseux le long du Niger à La Chaussée.
Tu viens plus aux soirées…
La postérité de Malick Sidibé est aussi due à deux questions techniques. Avec l’indépendance, les militaires français s’en vont et il rachète donc à prix raisonnable du matériel de photographie à un de ces derniers. Ensuite, en 1962 il ouvre son propre studio où il continuera de travailler malgré la dictature et la fermeture des boîtes de nuit.
Jusqu’aux années 80 tout se passe bien mais l’arrivée en force de la photo couleur fait baisser son activité. Il se met alors du côté technique et devient réparateur d’appareils. En fait, la démocratisation relative de cette technique fait que son métier perd de sa superbe. Une réflexion qui se poursuit aujourd’hui alors que notre rapport à la photographie est quotidien voire omniprésent.
Le cérémonial du studio et de cette pose, la mise en scène, le contact avec un étranger qui de son œil cerne le modèle éphémère… Tout cela précède les photos de Malick Sidibé et témoigne par une subtile mise en scène de cette époque rêvée. Car la photo illustre tout autant qu’elle détourne. Reste à savoir quelle réalité on souhaite révéler derrière. Celle d’un Mali jeunement indépendant et plein d’espoir semble être la plus belle des hypothèses.
Pour prolonger votre lecture :
Le documentaire Dolce Vita Africana(2008). Cosima Spender est allée rencontrer Malick Sidibé dans son studio photo mais a aussi fait la démarche de rencontrer certains de ses modèles. Dépassant ainsi ces reliques d’une époque révolue, elle a fait une micro-histoire illustrant le Mali de cette époque. On vous a mis la bande-annonce dans la playlist.
Bien sûr, l’exposition Mali Twist qui se déroule en ce moment même à la Fondation Cartier. Vous y verrez les photos dont on vous parle et pourrez écouter la bande-son des soirées de cette époque.
Pour de la musique un peu plus à l’ouest, les Béninois de l’orchestre Poly-Rythmo du Cotonou.
Signature et crédits :
Le son et le texte : Nils Savoye
Le visuel : Tout grand merci à Marie Casaÿs qui s’est ici inspirée d’une photo de Malick Sidibé, car si on admire les photos il est parfois louable de savoir qui se cache derrière le Kodak Brownie Flash.