Né en 1949, Gil Scott Heron grandit entre le Tennesse et la Grande Pomme, dans des Etats-Unis où la ségrégation est le quotidien. Comme il le raconte dans ses mémoires, c’est donc à Jackson qu’il découvre sa vie : le blues, sa famille décomposée recomposée, l’écriture et le piano. A sept ans, un riche voisin déménage et la grand-mère de Gil récupère le clavier qu’il laisse derrière. Elle en meublera son salon, Gil y entraînera ses doigts mats. Sa grand-mère rechigne au blues qui est synonyme d’alcool de contrebande. C’est donc sur sa radio que Gil Scott Heron le découvre. Il écoute alors WDIA, seule radio dédiée exclusivement à la culture afro-américaine – mais quand même détenue par deux blancs. Pour info, B.B. King y a fait ses débuts en y passant de la musique, ce qui lui a permis de rencontrer son futur public avec qui il connaîtrait la gloire. Une radio qui existe encore aujourd’hui.
Black man in a white world
Quand on naît en 1949 aux Etats-Unis et qu’on est noir il se passe des trucs qu’on a tendance à oublier. Encore à l’école, Gil a une conversation avec sa mère qui lui demande si oui ou non il veut intégrer un établissement mixte où Blancs et Noirs cohabitent. Il dit oui et – sautons quelques étapes – se retrouve à Fieldston, école prestigieuse de New York. Quelques années plus tard aussi, il se retrouve à la faculté de Lincoln en Pennsylvanie, passage obligé s’il veut faire des études supérieures puisque seule fac du pays à abriter des Noirs en ses murs. Gil Scott Heron, bon élève, vit donc la ségrégation de plein fouet et tout au long de son parcours scolaire. Il vit cette distinction entre Blancs et Noirs et la vit tellement qu’il souhaite la combattre et en faire l’oeuvre de sa vie.
Gil Scott Heron : écrivain plutôt que chanteur
Si on connaît Gil Scott Heron pour des hymnes comme The Bottle, soit pour ses chansons, il faut savoir qu’au début son ambition est d’être écrivain. La première production culturelle qui émane de lui n’est pas un album mais un livre. Un recueil de poésie. L’homme fait du piano mais est inscrit en fac de lettres. Il chante mais son verbe est politique et poétique. Ecoutez-le dans Whithey On The Moon dénoncer la conquête spatiale entreprise par son pays là où lui est incapable de se payer un docteur. Ecoutez-le chanter la triste histoire de ce même pays dans Winter In America, avec une mélancolie qui ferait penser au Sittin’ On The Dock Of The Bay d’Otis Redding.
1970 : un nouveau poète noir est né
Mais comment en est-il arrivé là ? Son premier album sort sur Flying Dutchman Records, le label d’un certain Bob Thiele qui dans les années 1960 enregistrait John Coltrane, Archie Shepp ou encore Charlie Mingus. Un mec qui avait de la galette et qui portait avec lui un beau projet :
Bob a dit qu’il n’avait pas d’argent pour produire un album de musique en ce moment. Mais il avait lu mon recueil de poésie et a dit : “Si tu l’enregistres et que ça rapporte un peu d’argent, on peut essayer de trouver un financement ensemble pour faire un album.”
L’idée d’enregistrer un album entièrement parlé ne m’avait jamais traversé l’esprit. Mais en plus de continuer à enregistrer les musiciens de jazz qui avaient permis de le faire connaître et avaient bâti sa réputation dans les années 1960, Bob Thiele voulait enregistrer la chronique d’une époque. Plusieurs des changements qui avaient eu lieu dans les années 1970 trouvaient leur source dans les années 1960 et Bob voulait graver ces sons sur vinyle. C’étaient souvent des albums sans potentiel commercial, mais son idée était d’une grande perspicacité puisqu’il s’agissait de collecter des instantanés inestimables d’une période qui allait remodeler l’Amérique, puis le reste du monde.
Un projet qui était donc avant tout politique puisque ce premier album A New Black Poet – Small Talk at 125th and Lenox a explosé et doit à Gil Scott Heron ce titre qui asseoit encore aujourd’hui sa postérité : The Revolution Will Not Be Televised. L’artiste y démontre surtout la qualité de son spoken word, sans doute influencé par The Last Poets qu’il avait vu un an auparavant en concert à sa fac de Lincoln. Poètes dont nous reparlerons un de ces jours…
Suite et épiphanie du bluesologist
S’en suit, grâce aux recettes de ce premier album, Pieces Of A Man. L’homme quitte sa verve qui annonce les prémices du rap et se recentre sur des instrus plus sophistiquées. On quitte les congas et la lourde basse comme seule instru pour retrouver Brian Jackson, compagnon qui sera aux côtés de Gil Scott Heron tout au long de sa carrière.
Clôturons donc cette présentation par un Gil Scott Heron qui finit par comprendre en 1977 le sens de son engagement politique dans Song Of The Wind : “I wanted to get word to my brothers, but I really didn’t now how, not until now, until now.” L’épiphanie d’un Gil Scott Heron se rendant compte qu’il a fait le juste choix pour pouvoir incarner les causes qui lui sont chères.
Signature et crédits :
Le son : Playlist de Nils Savoye (vinyles à écouter à nos événements…)
Le texte : Le même, accompagné d’une citation de La dernière fête, autobiographie de Gil Scott-Heron parue aux Editions de l’Olivier.
Le visuel : Illustration de Marie Casaÿs