Les sous-terrains #4 – Interview de RENDEZ VOUS

Rendez Vous, une interview d'Antoine de Nardi et une illustration de Marie Casaÿs sur L'Escamoteur

Sortir d’un concert de Rendez Vous intact est assez rare. Depuis 2014, les quatre parisiens écument les scènes françaises et d’Europe de l’Est avec fracas, laissant derrière eux des bleus sur les corps et des sourires sur les visages.

Après les deux EP cold wave/post punk rugissants The Others et Distance, le groupe sort ce vendredi 26 octobre un album ouvert sur une large palette d’influences mais tout aussi intense que les sorties précédentes : Superior State. Les synthés qui glaçaient la peau se sont retirés pour laisser place à la batterie de Guillaume Rottier (Quetzal Snakes, Holy Gray). La guitare s’exprime davantage et les morceaux se complexifient.

Le quatuor a pris ses marques. Il s’est donné les moyen de creuser dans ses fondements pour déterrer un son qui lui est propre. Pour concrétiser cette réalisation, Rendez Vous s’est entouré de collaborateurs solides en la personne de Matt Peel au mixage (Eagulls, Bad Breeding) et Sarah Register au mastering (Yaeji, Protomartyr, Depeche Mode).

C’est avec en tête le souvenir de concert au Macki Music Festival 2017, où je m’étais retrouvé face à un déploiement d’énergie digne de Throbbing Gristle, que je retrouve Elliot, Francis, Maxime et Simon attablés autour d’un bloody mary post-gueule de bois.

« Y’avait la projection d’un film porno des années 70 hier soir » m’explique Elliot.

Je n’en attendais pas moins.


Vous dites en interview avoir voulu moderniser votre son et ne pas tomber dans le revival eighties. Comment êtes-vous arrivés à la conclusion que ça se ferait en virant les synthés et en remettant la guitare en avant dans vos compos?

Elliot( guitare, synthé, choeurs): Moderniser on a dit ça mais je sais pas si c’est le terme exact. C’est plutôt sortir de ces sonorités, de cette ambiance eighties très typée, l’élargir. Rendre plus intemporel, c’est peut être plus ça la volonté qu’on avait.

Bizarrement la façon de construire la ligne de batterie est plus originale et plus neuve que se servir de boîte à rythme. C’est des samples de batterie qu’on a programmés. Souvent, soit tu séquences une boîte à rythme soit t’as un batteur enregistré. Le fait de sampler des batteries garde le côté machines mais avec des sonorités acoustiques.

 

Lorsque vous avez fait venir Guillaume à la batterie, c’était le projet que vous aviez pour lui ou vous l’avez décidé ensemble?

Elliot: On a fait l’album en ayant cette volonté d’utiliser ces sons de batteries et vu que c’était un pote on lui a proposé. Il a bien capté le truc, on le connaissait un peu avant, on était parti en tournée avec lui, il conduisait notre van. Mais c’est surtout un super bon batteur qui sait être assez sobre. Il arrive, il remplace des machines donc nous on voulait qu’il y ait un truc qui reste un peu sobre, qu’il en mette pas des caisses.

 

Qu’est-ce que vous vouliez amener à cet album que vous n’aviez pas encore réalisé sur les deux précédents EP?

Elliot: Plus de nuance peut-être. On a fait des morceaux plus lents, on n’avait jamais fait des morceaux aussi lents. On voulait essayer d’autres choses, mettre plus de relief. Agrandir le spectre musical.

 

Comment est-ce que vous avez fait converger vos influences pour trouver votre son?

Elliot: On a des influences assez communes et je pense qu’on aime les mêmes choses. Même s’il y en a qui sont sensible à d’autres choses. Max et moi on écoute plus de techno. On se fait écouter des trucs mais c’est pas forcément très conscientisé. Dès le début il y avait plein de trucs qu’on aimait en commun notamment ce qui est cold wave ou post punk des années 80 , même si on écoute pas que ça c’est un truc qu’on kiffait déjà tous ensemble. Musicalement ça a été le point de rencontre. Ça s’est fait assez naturellement.

 

On va passer à la psychanalyse, Exuviae c’était pour marquer votre renaissance?

Simon (guitare): Ah t’as été voir l’étymologie!

Francis (chant, basse): Si tu veux l’interpréter comme ça c’est bien.

Simon: C’est le morceau le plus vénère qu’on aie fait aujourd’hui. Il y a un côté vraiment agressif, mais à côté de ça dans l’album on a fait des morceaux beaucoup plus lents. En fait le format d’album, comme on n’avait fait que deux EP avant, t’as dix tracks t’as le temps de visiter et d’essayer d’autres trucs.

 

Sentimental Animal, ça parle de fuir sa propre nature?

Francis: C’est comme tu veux.

Max (synthés, machines) : Il est très dur à psychanalyser, essaye encore un peu.

 

Vous restez assez discret sur l’aspect politique de votre album. L’hommage à Douglas Pearce sur Crisis, le titre Superior State, la cover en font pourtant un objet assez contestataire. C’est compliqué d’assumer un album antifa?

(rires)

Max: C’est pas du tout un album antifa!

Simon: Au contraire.

Elliot: Non non pas au contraire évidemment! C’est pas quelque chose qu’on revendique, puis on l’est pas. On est politisés, on a des idées, mais on n’a pas forcément envie de les mettre en avant. Même si cette pochette elle a une signification, elle est pas gratos et elle répond à nos réflexions, à nos idées, c’est pas un truc engagé.

Max: C’est peut-être plus dur à assumer qu’à une certaine époque de porter un message comme ça parce que ce que tu vas être amené à pointer du doigt c’était déjà valable dans les années 80 quand c’était les vieux groupes de punk et tout. Donc tu peux aussi tomber dans une sorte de redite un peu naze de nostalgie genre groupe constestataire. C’est un peu plus délicat à manier aujourd’hui. Mais, oui, c’est un truc qui est tellement présent autour de nous que c’est une matière que t’as vite envie d’utiliser.

Elliot: On n’est pas les Bérus.

 

Alors que la scène parisienne tend à revenir vers le côté Jeunes Gens Modernes des 80’s, vous faites revivre le côté crasseux et punk. Ça a plus de sens pour vous?

Notre musique était plus rapprochée des Jeunes Gens Modernes que des punks crasseux pendant longtemps. Très synthétique. Mais en effet il y a un côté plus vénère, no wave que les Jeunes Gens Modernes n’avaient pas. Nous on aime bien ce côté punk un peu violent qui t’emporte.

 

Sur l’album vous faites des morceaux plus soft, est-ce que vous avez envie de sortir la violence de votre musique parfois?

Peut-être des fois. Si tu écoutes Last Stop c’est un morceau qui est assez doux, même la voix.

 

Certains groupes en avançant ont souvent tendance à se polisser. D’ailleurs visiblement on essaie déjà de vous mettre dans la case romantiques. En live on voit quand même que la violence reste là.

Elliot: C’est par le fait d’exposer quelque chose d’assez énergique et frontal qu’on arrive à provoquer une réaction plus rapide chez le public et sentir une connexion. Puis moi j’aime bien voir des concerts qui sont rentre-dedans, j’aime bien que ça me prenne. On a envie que le public réagisse de cette façon là. La meilleure réaction c’est le pogo. Quand tu donnes ça et que t’as pas ça en face ça met un peu mal.

Simon: Comme la musique est très frontale, il y a presque un truc physique. Si tu joues trois, quatre morceaux et que les gens réagissent pas, c’est pas qu’il y a un malaise mais tu te dis qu’il y a quelque chose qui marche pas.

 

RENDEZ VOUS part en tournée

Vous attendez quoi de la tournée qui arrive?

Simon: On joue déjà Last Stop en rappel, on l’a adaptée pour le live.

Elliot: Pour le coup il est bien épique en concert, un peu shoegaze, on fait une fin bien « lâcher de ballons ». C’est assez étonnant parce que normalement on la joue après Distance. Les gens sont un peu décontenancés au début ils comprennent pas trop.

Max: En plus y’a un truc qui est marrant c’est qu’on se rend compte que les gens miment un peu le clip de Distance, ils se bastonnent. Donc ils sont vénère et puis t’as Last Stop qui arrive derrière. Au début tu sens qu’il y a un petit flottement et puis, en fait, à la fin c’est explosif parce qu’il y a effectivement ce truc épique. C’est ce qu’on essaie de faire en tout cas.

 

Est-ce que ça vaudrait pas le coup de filmer des gens qui baisent pour le clip de Last Stop et voir ce qu’il se passe?

Max: Ça serait bon!

 

Vous tournez avec des acteurs de la scène techno et vous gravitez dans ce milieu underground qui se rend à la Station, la Java. Des gens qui écoutent de la techno, du punk, du noise, le milieu queer également. Vous avez l’impression de partager un espèce de mouvement avec le public et les autres groupes?

Elliot: Oui mais on ne se rattache pas à une scène particulièrement. Moi je trouve qu’il y a des bons labels, des bons groupes en France. Par exemple, Mind Records c’est le label d’un de nos potes et je trouve que, dans le paysage parisien, il y a quelque chose qui se passe avec ce label et d’autre groupes comme Bryan’s Magic Tears, Boys and Punk. On peut pas dire qu’on est de la même scène parce qu’on fait pas du tout la même musique. Mais il y a un phénomène assez cool à voir, une énergie intéressante. Il y a quelque chose en France, en ce moment, d’hyper riche musicalement qui ne l’a pas été autant depuis longtemps. Mais c’est assez varié. C’est pour ça que je peux pas parler de scène et c’est ça qui est intéressant. Je pense qu’on est tous un peu potes, les mecs qui ont des labels ou qui font de la techno à Paris.

 

Si vous deviez revenir au synthé, vous iriez vers la techno?

Elliot: A un moment sur l’album on aurait pu prendre une direction plus électronique. Mais on verra un jour. Je sais que l’EBM et l’indus c’est des trucs qui nous parlent donc pourquoi pas…

 

Avec la nouvelle direction prise sur l’album, est-ce vous cherchez à atteindre un « higher state of wisdom » (refrain du morceau titre) ?

Elliot: Peut-être. C’est compliqué parce qu’à la fois on aime bien qu’il y ait un truc un peu réfléchi dans nos morceaux mais on aime aussi que ce soit très évident et immédiat pour ceux qui reçoivent la musique. On peut dire deux choses différentes Il y a des morceaux qui peuvent tendre vers quelque chose de plus réfléchi, plus conceptuels alors que d’autres vers quelque chose de plus frontal, plus bestial. Mais on n’est pas obligé d’être dans un carcan, c’est ce qu’on a essayé de faire sur l’album. C’est de dire des choses différentes.

 

En entendant le morceau Order of Baël et la trompette étouffée au début de Sentimental Animal, je me suis demandé si vous vous étiez lancés dans une mystique luciférienne ou si vous cherchiez juste la merde?

Simon: Il faut écouter le disque à l’envers, tu vas entendre plein de messages.

Max: On a semé le doute. C’est au bout de la 666ème fois que tu le comprends.

Simon: Ca se met à brûler, c’est un concept.

Elliot: C’est influencé par pas mal de trucs notamment un morceau de The The. Death In June aussi, le néofolk, c’est pour ça qu’il y a de l’accordéon dedans.

Max: C’est faussement naïf. C’est un morceau beaucoup plus « cool » que les autres, plus léger. Donc on trouvait ça marrant de faire comme si c’était un morceau super dark.

Francis: On avait regardé un peu la mythologie, les démons les plus intéressants. Baël c’est le maître des enfers.

 

Vous aussi?

Max: Sans prétention… mais ouais, on est un peu les maîtres des enfers.

Simon: Personnellement je me considère comme un suppôt de Satan.

 

Qu’est qu’on exige d’un premier album?

Simon: Qu’il soit vendu à un million d’exemplaires.

Elliot: C’est compliqué un premier album parce que les deux EPs ont pas mal tourné donc t’as la pression. On a essayé de la mettre de côté quand on l’a composé mais tu sens que t’es un peu attendu au tournant quand il y a un truc qui a un peu marché.

Max: Surprendre un peu les gens, que ça reste positif. Ne pas décevoir. Si les gens arrivent à être surpris tout en continuant à adhérer je pense que c’est le mieux. Plutôt que de resservir ce à quoi on aurait pu s’attendre après Distance.

Elliot: Il y a des choses qui sont plus faciles d’approche que sur le dernier EP.

Simon: Et d’autres qui sont plus tranchées, plus violentes et qui peuvent cliver.

Elliot: Après il y a des albums qu’on adore qui sont uniquement vénère ou uniquement calmes. Nous en tout cas on avait envie de dire des choses différentes. Certaines plus légères et d’autres plus vénères. Mais c’est propre à ce qu’on est nous. Regarde le t-shirt Bathory (ndlr, le t-shirt qu’arbore Simon) c’est que du vénère et ça défonce.

 

Signature et crédits :

Le son : On a mis Deezer parce qu’on supporte les Frenchies mais Superior State est disponible dès aujourd’hui sur toutes les plateformes de streaming. Vous pouvez aussi rappliquer pour la Release Party à la Machine du Moulin Rouge le 9 Novembre prochain vous le prendre en pleine gueule ! -> événement Facebook ici

Le texte : Merci à Antoine De Nardi (vous pouvez suivre son tumblr ici-même et lire ses autres articles )

Le visuel : Merci à Marie Casays, fer de lance de l’asso. La preuve avec la longue liste de ses articles sur le site.

 

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