Il y a cinquante ans, dans ma province, un immense tremblement.
Les feuilles devaient déjà être rouges.
Un attentat de plus.
Plus de trente mille perquisitions.
Plus de cinq cents arrestations sans mandat.
Et Simonne raconte :
Réveillée dans un matin sans lumière.
Le 16 octobre, 5h10, et elle ne comprend pas.
Elle vit avec un homme, on l’enlève.
Des policiers lui interdisent d’appeler, pas d’avocat.
Les deux plus jeunes sont en haut.
Elle grimpe à toute allure vers ses enfants.
D’autres officiers sont postés près du téléphone à l’étage, le pistolet sur l’appareil.
Comme un piège qui se referme.
Une réponse à la radio :
« Par une décision du Gouverneur général en conseil, la Loi sur les mesures de guerre, votée à 4h de la nuit, autorise les corps policiers à perquisitionner et à emmener sans mandat tout citoyen soupçonné d’affiliation ou même de sympathie au Front de Libération du Québec. »
Acmé d’une action violente, menée par un réseau indépendantiste.
Entre 1963 et 1967, presque une quarantaine de bombes de faibles puissances.
On s’en prend au symbole de la couronne britannique et du fédéralisme canadien.
Entre 1968 et 1970, c’est une soixantaine de bombes de forte puissance.
On attaque davantage le grand capital.
Mais elle, elle est profondément pacifiste.
Et lui, qui pense toujours tout fort, il n’utilise que les mots.
Ni violence physique, ni clandestinité.
Et là, la tête froide, avec cette pointe d’ironie bien à lui,
Là, dans une nuit qui se termine à peine :
« Attendez-moi, je vais me raser, me faire beau pour la Reine. Pendant ce temps-là, ma femme va vous offrir une bière… »
5h 10, il vient de quitter subitement la maison, encadré par deux policiers de la Sureté du Québec, et deux autres de la Gendarmerie royale.
« Ne t’inquiète pas pour moi ! La prison, ça ne me fait pas peur. Prends bien soin de toi. A bientôt j’espère. »
5h10, un sentiment d’indignation et d’impuissance monte rapidement, envahit tout.
Les enfants s’en vont, vont vivre ailleurs, pour un moment.
Simonne va s’asseoir au bout de l’immense table de la cuisine.
Elle est seule, toute seule.
Il faut remettre en place les livres sortis de la bibliothèque, sur les bureaux de travail, les dossiers renversés par les forces de l’ordre.
Il faut répondre au téléphone,
Aux inquiétudes de toute la famille,
À la curiosité sans limite des journalistes, de la radio, de la télévision.
Il faut arroser les plantes.
De militante en couple avec un militant, elle est devenue femme d’un prisonnier politique.
Vingt-et-un jours durant, elle ne saura même pas où il est.
Aucune nouvelle.
Et il faudra attendre quatre longs mois avant de le retrouver.
Quatre mois d’attente.
En attendant, elle affronte les lettres de menace de mort.
Les trois micros placés dans la maison.
Les policiers qui, dans le noir de la nuit, la sortent de sa propre demeure sous prétexte d’une attaque à la bombe.
Les fouilles trop intimes et régulières, à la prison de Parthenais.
Le parloir où il faut choisir entre le regard ou la voix, car la fente qui permet de communiquer est placée trop bas.
Les droits et libertés sont tombés, la démocratie a terni.
Octobre a fait entrer le Québec dans un automne terriblement froid.
L’armée est entrée, le silence a suivi.
Mais il lui écrit : « Nous reverrons le soleil.
Et le printemps est dans l’hiver ».
Et Simonne a continué de se battre, avec une ténacité et un courage de femme.
Un son : Eille ! est une chanson de Pauline Julien, chanteuse et militante, proche de Simonne Monet-Chartrand. La nuit du 16 octobre 1970, la chanteuse est elle aussi embarquée et passe huit jours en prison. Eille ! est chanté lors d’une soirée au Gésù, à Montréal, en janvier 1971. Cette soirée a été organisée en soutien aux personnes incarcérées lors de la crise d’octobre 1970.
Un texte : Cinquante ans après les événements d’octobre 1970, Marion Bonneau écrit pour rendre hommage à sa grand-mère. Texte inspiré de l’autobiographie de Simonne Monet-Chartrand, Ma vie comme rivière.
Un visuel : Photographie de Simonne Monet-Chartrand choisie par Dominique Chartrand.