Amphétamines et danse endiablée : la Northern Soul

Northern Soul, une illustration de Marie Casays, un texte de Nils Savoye. L'Escamoteur
Northern Soul, une illustration de Marie Casays, un texte de Nils Savoye. L’Escamoteur

Le Nord auquel se réfère la Northern Soul est celui du Royaume-Uni, des années soixante au début des années quatre-vingt. Le terme, lui, qualifie cette soul incarnée notamment par les débuts de la Motown, pensez à des personnages comme Gloria Jones surnommée la « Northern Queen of Soul », au jeune Marvin Gaye ou encore aux Miracles avec qui le grand Smokey Robinson s’est fait connaître. Cette musique, c’est aussi et surtout une horde de danseurs sous amphétamines dans des grands dancings en parquet sur lesquels on met du talc pour mieux glisser, sapés comme jamais dans un délire mod – subculture née dans le Royaume-Uni à la fin des années cinquante.

L’histoire veut que comme pour la French Touch, un jour quelqu’un ait voulu désigner le courant et ait ainsi été à l’origine de l’expression. En l’occurrence, l’Anglais Dave Godin avait un magasin de vinyles sur Covent Garden à Londres : le Soul City. À la fin des sixties, la soul prenait une nouvelle tournure avec des sonorités un peu plus funkies que celles de la Motown des débuts – pensez aux Jackson 5 ou encore à l’évolution de la carrière de Stevie Wonder.

Dans une interview de 2002 que feu Godin (1936-2004) a donnée au magazine Mojo, il se souvient qu’à la fin des années soixante des supporters de foot nordistes venaient voir des matchs à Londres et en profitaient pour ramener avec eux quelques raretés introuvables dans leurs contrées industrielles. Ce sont eux qui préféraient à la toute puissante actualité musicale – déjà on pouvait palper la haine des Charts – les 45 tours obscurs sortis quelques années plus tôt sur des labels américains. Godin précisait donc « Soul du Nord » soit « Northern Soul » quand il s’adressait à ses employés afin de différencier cette musique noire du début des sixties vis-à-vis de la soul d’alors qui se dirigeait tranquillement vers le funk et la disco.

1-2 1-2, les critiques parlent aux critiques

Godin, qui par ailleurs était critique musical, a dans la foulée sorti en juin 1970 deux articles dans l’hebdomadaire Blues & Soul intitulés « The Up-North Soul Groove ». C’est à partir de là que l’expression s’est popularisée. Dans lesdits articles, il dénonce, au niveau musical, la pédanterie des Londoniens vis-à-vis du reste du Royaume-Uni : ces derniers se voudraient les seuls représentants de la hype. « This of course is purest codswallop ! » (Tout ça n’est bien sûr que pure sottise!). Selon Godin, un phénomène massif est entrain de voir le jour dans le Nord du pays. En effet, à l’époque, quelqu’un qui comme ces férus de Northern Soul ne veut pas écouter la radio a besoin d’argent parce que dans ce cas il doit soit acheter des disques, soit aller à des concerts, soit aller dans des bars ou autres lieux où cette musique se joue. Aujourd’hui on vous fait des playlists gratis avec des articles écrits avec les tripes.

Northern Soul, la danse avant tout !

L’important phénomène qui accompagne alors cette musique est la naissance des all night dancing. Cette musique s’écoute principalement dans des discothèques comme le Twisted Wheel Club à Manchester ou le Wigan Casino (qui ferme en 1981) qui fleurissent dans la région et sont fréquentées pas des hordes de jeunes qui viennent exhiber leurs pas de danse boostés aux amphétamines. Car oui, déjà, les danseurs s’en mettent plein le cornet et s’activent alors jusqu’à huit heures du matin dans d’étranges mélanges de pas alliant figures au sol faisant penser au futur breakdance, sauts périlleux et mouvements de karaté. Bref, ils sont à bloc dans leurs chaussures cirées, leurs Levi’s larges et leurs tee-shirts de bowling ou marcels qui sont brodés avec des patchs exhibant le poing levé noir de la solidarité et résistance.

Bonus : Film de folie et récit fictif

EN BONUS : Si vous souhaitez un aperçu du phénomène, jetez un coup d’oeil au très bon film d’Elaine Constantine sorti en 2014 intitulé sobrement Northern Soul. Après une longue enquête sociologique où elle a rencontré une multitude d’acteurs et témoins de cette période, elle a réalisé cette fiction qui sous certains aspects anthropologiques paraît très juste. En 1974, deux jeunes qui se cherchent un peu se découvrent une passion pour ce courant musical. On les suit alors dans leur quotidien de passionnés à travers les discothèques, les amours et la démerde. La scène magistrale du film reste celle quand Sean (joué par Jack Gordon) va à l’équivalent de la MJC du quartier et découvre Matt (joué par Josh Whitehouse) danser seul dans une incomparable trance au son du très bon Time d’Edwin Starr. Introuvable sur Youtube mais pour les flemmards calez votre curseur à 08’20” : que du bonheur.
Et concernant notre récit fictif, c’est celui de cet homme rentrant chez lui au petit matin (ou plutôt les titres des sons de notre playlist) :

HOMME. I’m coming home in the morning

FEMME. You’ve been gone too long

HOMME. Try my love

FEMME. Time

HOMME. Ain’t gonna give you up

FEMME. I’m not your regular woman

HOMME. Can we try love again ?

FEMME. Someday

HOMME. Tell me what you want

FEMME. You got to have money

HOMME. Just loving you

FEMME. I can’t dance

HOMME. Don’t you worry baby, the best is yet to come


Un son : Playlist proposée par Nils Savoye

Un texte : Nils Savoye

Un visuel : Marie Casaÿs

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