[Des textes pour l’ARN #4] Le mobile-home de La Souterraine

Le mobile-home de La Souterraine par Nelly Monnier et Eric Tabuchi

Depuis début novembre, les archives de l’Atlas des Régions Naturelles (ARN) sont disponibles sur internet. Il s’agit de milliers de photographies prises par Nelly Monnier et Eric Tabuchi sur les routes de France au cours des dix dernières années. Nous avons lancé un appel à contribution où on vous propose de choisir une photo, d’écrire, de trouver une musique et de nous envoyer le tout par mail. Voici la quatrième contribution que nous avons reçue. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).


Je connais ce mobile-home. Il est à la sortie de La Souterraine, la ville où se trouve la gare la plus proche de ma maison familiale, c’est à dire à 1h15 de voiture. Le plus souvent, il n’y a pas de bus, et ma mère doit faire la route pour venir me chercher. Je suis partie tôt, ligne 11, ligne 5, gare d’Austerlitz puis 2h50 de voyage. On s’embrasse, je mets ma valise dans le coffre, et c’est parti.

Le mobile-home est là depuis des années. On traverse un quartier de pavillons et puis, d’un coup, on découvre un carré de terrain bordé d’une clôture électrique branlante. Le mobile-home est sûrement là depuis bien plus longtemps que toutes les maisons qui l’entourent. Les rideaux sont fermés. Il est inquiétant. Il nous rappelle ces histoires qui font peur. On y imagine des crimes sordides, des drames de films noirs. Comme un enfant, je veux savoir ce qu’il y a dedans mais je n’ai pas le courage d’aller regarder.

Lorsque l’on passe devant, je n’ai retrouvé ma mère que depuis quelques minutes. Est-ce qu’il y avait du monde dans le train ? Il se construit beaucoup de maisons ici. Tu dois avoir faim, il reste des biscuits dans la boite à gants. Tu te souviens quand on a mangé là avant le concert de Vincent Delerm ? Ah, tiens, ils ont changé de propriétaire.

La Souterraine c’est petit, mais c’est quand même une des plus grandes villes du département. C’est plutôt vilain à regarder. Je n’ai jamais fait qu’y passer. Habiter en Creuse, c’est comme ça, on voyage énormément en voiture. Il y a beaucoup de villes comme La Souterraine que je n’ai fait que traverser.

C’est sur le quai de gare de cette ville que Patrick Gregory et Bruno Todeschini se déchirent dans Ceux qui m’aiment prendront le train de Chéreau. La première fois que j’y ai mis les pieds je me suis dit qu’un jour Charles Berling, Valeria Bruni Tedeschi, Dominique Blanc étaient passés là. Qu’ils avaient fait quelque chose de beau ici. Quand je prends le train à cette gare, je pense souvent à Patrice Chéreau.

J’ai plusieurs fois rêvé de ce mobile-home. Toujours dans des cauchemars, de nuit. Je m’y rendais pour rencontrer une vieille femme qui habitait là, seule personne pouvant m’aider dans je ne sais quelle quête. D’autres fois, j’y ai retrouvé des cadavres. Depuis, quand je passe devant en voiture j’ai le sentiment étrange que je connais ce lieu, que je me suis déjà rendue à l’intérieur. J’ai le souvenir de l’avoir vu éclairé dans la nuit, mais je n’arrive pas à savoir si cela est vraiment arrivé, s’il s’agit d’un rêve, ou d’une autre caravane.

J’ai souvent voulu demander à ma mère de s’arrêter pour prendre une photo, sans jamais oser. Je suis contente que quelqu’un l’ait fait.

Je reprendrai le train à La Souterraine, je repasserai devant ce terrain inquiétant qui me plaît. Lieu de passage entre Paris et la nature creusoise. Un peu Chéreau, un peu terroir.

Il me ressemble ce mobile-home.


UN SON : Belle and Sebastian – I Fought in a War, Album resté depuis 15 ans dans la portière de la voiture familiale, souvenir de passager.

UN TEXTE : Lucile Fauchier

UN VISUEL : Le mobile-home de La Souterraine, photographié par Nelly Monnier et Eric Tabuchi dans le cadre de l’Atlas des Régions Naturelles.

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