Depuis début novembre, les archives de l’Atlas des Régions Naturelles (ARN) sont disponibles sur internet. Il s’agit de milliers de photographies prises par Nelly Monnier et Eric Tabuchi sur les routes de France au cours des dix dernières années. Nous avons lancé un appel à contribution où on vous propose de choisir une photo, d’écrire, de trouver une musique et de nous envoyer le tout par mail. Voici la quatorzième contribution que nous avons reçue, écrite par Laetitia Gendre. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).
L’immobilité forcée n’est peut-être pas pour rien dans ma frénésie à explorer l’atlas depuis quelques semaines, et aujourd’hui la distance et l’impossible visite à la région natale – qui m’a si peu importé pendant des années – me fait parcourir la sélection de photos de la région du plateau de Sainte Maure (ici, faire une recherche dans l’ARN et sélectionner la région, juste en dessous du val de Loire Tourangeau).
Mon enfance et mon adolescence défilent devant mes yeux… J’ai précisément joué gamine dans ‘la banane’, ce vieil hélico de Villeperdue échoué à l’entrée de chez Dufresne, le ferrailleur chez qui on passait des samedis entiers, mais de manière générale, chaque image ressemble à la carte archétypale du décor d’un évènement, façon Cluedo, le meurtre en moins. J’ai escaladé les piles géantes de bottes de paille avec une joie grisante attisée par le risque de se faire choper par l’agriculteur, éprouvé des frissons de liberté en me baladant seule, très jeune, le matin en été dans les champs de blé autour de la maison; j’ai bu des Oranginas périmés chez la patronne retraitée du café qui nous ouvrait sa porte juste pour tuer l’ennui, fait ma première boum dans le sous-sol aride du pavillon perdu, fumé des clopes en bande derrière le château d’eau, descendu en kayak les petits barrages de la Vienne et de l’Indre, sillonné les bois de St-Epain avec mes parents à la recherche de trompettes de la mort, acheté mes premiers 45 tours au superU du bled d’à côté, vomi un Whisky-Coca sur le parking d’une discothèque qui de jour ressemble à un abattoir. Mes états d’âme d’ado ont rayé les murs en tuffeau, jusqu’à ce que je découvre que cette pierre contient les fonds sous-marins du crétacé supérieur… me suis rêvée troglodyte et suis partie, avec les stations-service abandonnées de la N10 et les granges rafistolées dans la tête, l’attraction pour la ruine. Un portrait mélancolique et déserté, qui me rappelle aussi que rien dans cette région n’a jamais vraiment pour moi appelé le futur.
UN SON : Smalltown Boy de Bronski Beat (1984)
UN TEXTE : Laetitia Gendre
UN VISUEL : Le plateau Sainte-Maure, photographié par Nelly Monnier et Eric Tabuchi dans le cadre de l’Atlas des Régions Naturelles.