Florence Minder interroge notre capacité à faire, mais faire, c’est quoi ?

Florence Minder - Photographie de Hubert Amiel

Faire quelque chose, c’est le faire non ? – Théâtre Varia, Bruxelles, 2021

Le rideau s’ouvre sur des rochers en carton-pâte de part et d’autre de la scène. Au centre, les sièges en plastique rouge d’une salle d’attente. En avant-scène un parcmètre.

« Une mère et un enfant de huit ans sur la plage » nous dit le sur-titrage rouge. La mère est assise sur un siège, l’enfant court en avant-scène : elles profitent des derniers rayons du soleil, ceux qu’elles ont payé en mettant des piécettes dans le parcmètre. C’est que le soleil ne brille plus comme avant, alors on le recrée avec de la lumière artificielle. Ces personnages n’apparaîtront qu’une fois, c’est d’ailleurs l’autrice (Florence Minder elle-même) qui vient nous l’expliquer une fois le soleil éteint : ce spectacle met en présence des personnages différents, qui reviendront ou ne reviendront pas, qui peuvent être des voix ou une danse. Elle se fait soudainement couper dans son discours par un employé des pompes funèbres qui s’inquiète de savoir où se trouve le fleuriste, pour y rapporter les pots de fleurs de la cérémonie.

Voilà un début qui pose les règles du spectacle : une cohabitation entre sept personnages (et plus) aux trajectoires apparemment différentes qui trouvent, grâce aux perpétuelles ruptures dans les histoires individuelles, une harmonie commune, un récit collectif du faire ensemble.

Rester en mouvement

Faire, c’est se mettre en mouvement, c’est déclencher un élan. L’employé des pompes funèbres entre et sort en courant à grands bruits, le professeur des écoles danse délicieusement, l’amie des plantes escalade les rochers, l’infirmier délimite les coins de l’hôpital où il dort, l’actrice glisse sur sa plateforme à roulettes, l’avocate marche énergiquement en fumant des cigarettes, l’autrice regarde tout attentivement. Chacun opère dans son mode de fonctionnement, avec les gestes qu’iels savent le mieux faire et répéter, pour toujours continuer le mouvement cyclique dans lequel nous entraîne le spectacle.

Ce mouvement cyclique, et non chronologique, se fait grâce à un montage des différents parcours de vies des personnages. Les quasi deux heures de spectacle passe à une vitesse folle, le flot humain se déversant en torrent sur le spectateur.

Rester en action

Faire, c’est agir, c’est prendre une décision, c’est se jeter à l’eau, c’est rester éveillé. Sept personnages qui font, qui ne savent souvent pas trop quoi, mais qui persistent dans le faire, parce que c’est tout ce qui compte.

Tout le spectacle repose sur cette agitation jouissive dans laquelle se trouve les personnages, chacun préoccupé par sa propre existence, et à comment lui donner du sens. Chacun se trouve une quête personnelle à accomplir. L’employé des pompes funèbres à beau être le meilleur de l’entreprise, il n’en est pas heureux pour autant. Alors il cherche ailleurs : il reste tard après la fermeture, pour lire des livres aux morts congelés dans la chambre froide. L’actrice ne supporte pas d’attendre dans la loge son moment de jeu alors elle envahit la scène de ses interventions au public et de ses appels téléphoniques, trop effrayée à l’idée de ne pas être en action. Le professeur refuse de se faire dire que l’organe qui soulève l’âme quand on est heureux n’existe pas. Et j’en passe…

L’angoisse permanente de ne pas faire est si forte qu’elle contamine le spectateur. En effet, assis et apparemment passif, le spectateur se retrouve constamment stimulé par la rythmique folle du spectacle, qui ne fait qu’explorer les ruptures et multiplier les adresses publiques, le rendant ainsi actif de cette émulation collective.

Rester vivant

Faire enfin, c’est réussir à être là, à être ensemble. Florence Minder file le tissu humain de ces destins croisés avec une précision et une maîtrise bouleversantes parvenant à rendre un récit collectif, un récit de la vie même. On parle français, espagnol, flamand, italien, et les sur-titres se diversifient sur les écrans. Même si ces histoires suivent leur cours, l’interaction entre les personnages est constante, brisant le mythe de la solitude de ces êtres vivants. Tous ces frottements permettent de grandir l’individuel à l’universel, de rendre poreuse la limite des ces différents mondes, et de voir le spectacle comme un tout.

Pour moi c’est un spectacle qui répare en réinjectant du lien. Du lien entre les personnages où leur solitude devient une choralité, du lien entre les vivants et les morts opérés en la personne de l’employé des pompes funèbres évidemment, mais aussi de l’infirmier qui s’insurge contre le peu de moyens octroyés aux hôpitaux, et surtout de l’autrice, qui depuis le début raconte la façon dont elle a vécu le deuil de son frère, du lien entre le souvenir raconté, fictif ou réel, et l’hyper-présent du théâtre, réel dans sa fiction, et du lien avec nous, spectateurs.

Alors faire, en fait, c’est rester vivant. Et moi quand je sors de ce spectacle, je suis passée du rire aux larmes, et je me sens, quelque part, réparée et pleine d’espoir. Et j’ai envie de dire merci.

Alors allez-y vite. Ce soir et demain le parcmètre réactivera encore le soleil. Et écouter My Way de Nina Simone, ça active l’organe de la joie dont parle le professeur.


UN SON : My Way de Nina Simone

UN TEXTE : Marie Lacroix

UN VISUEL : Photographie de plateau prise par Hubert Amiel

Cette pièce sera produite les 3 et 4 décembre au théâtre Varia (Bruxelles). La billetterie est disponible en cliquant ici.

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