Si le fanatisme de l’homme pour l’homme me dépasse souvent, j’éprouve à l’égard de Raymond Depardon un profond respect et une certaine admiration. On parle ici d’un écrivain, photographe, cinéaste, grand reporter qui a parcouru le monde alors qu’il travaillait pour les plus prestigieuses agences de photo journalisme (Dalmas, Gamma, Magnum). Je ne me risquerai pas à tenter de résumer sa vie, car tellement riche et remplie je ne voudrais pas passer à côté de ce que lui pourrait trouver essentiel. Mais au-delà d’un grand artiste, on parle ici d’un grand monsieur, très attaché à ses terres natales et à sa fameuse ferme du Garet. Après ses mille et une vies, il se consacre encore plus ces dernières années à filmer la « France profonde », sauf que dans son œil, cela n’a rien de péjoratif, bien au contraire. Que ce soit à travers ses photographies ou ses films, aucun jugement n’est posé. Juste de quoi se comprendre les uns les autres. Aujourd’hui c’est de 12 jours que je vais vous parler, son touchant documentaire sur l’hospitalisation sous contrainte.
12 jours : la parole aux oubliés
Depardon s’intéresse depuis longtemps à la justice et à la psychiatrie (San Clemente, Délits flagrants, 10e chambre, instants d’audience, etc), et il a eu envie de faire un nouveau film alliant les deux. Depuis 2013, une nouvelle loi oblige les patients français hospitalisés sous contrainte à rencontrer, avant douze jours, un juge des libertés. Il a voulu filmer son application à travers 12 jours, un film social et nécessaire où le cinéma documentaire prend tout sens. En voici la bande-annonce.
Dans ce film, il utilise le procédé le plus élémentaire du cinéma, le champ contre champ. Il exprime ainsi deux paroles : celle des patients et celle des juges. Les alternances entre les gros plans donnent le ton du film, et soulèvent un rapport asymétrique entre juges et patients. La difficulté de ces derniers à communiquer n’est que le reflet d’un langage fragilisé par une histoire singulière, et elle fait opposition à une rhétorique « impassible » que se doivent d’avoir les juges. Mais un regard ne trompe jamais, et le cinéaste capte les réactions des juges qui ne passent justement que par les yeux.
« On pose sa caméra à la marge de la société et on obtient une photographie incroyablement juste de cette société. Des violences au travail, dans la rue, des gens qui veulent se suicider, des viols, des drames familiaux » (Interview publiée sur le site de Paris Match en novembre 2017)
Repères de la personnalité
On parle très souvent du sentiment d’identification dans un film, mais difficile ici de se placer d’un côté ou de l’autre de la barrière. On découvre avec stupeur et émotion les récits de ces gens, qui au final ont peut-être basculé à un moment de leur vie, suite à un événement qui pourrait nous arriver à tous. L’empathie est aussi du côté du juge. On mesure les décisions qu’il doit prendre puisqu’il il tient le destin de ces gens entre ses mains.
On pourrait dire que ce film est aussi le résidu de l’éducation et de l’enfance. On sait que l’enfance et l’adolescence sont les piliers de notre passage à l’âge adulte et donc de notre capacité à s’adapter à la société. Au-delà des sensibilités différentes qui singularisent tout un chacun, nos armes pour affronter la vie résident dans notre entourage. Famille, amis, professeurs, ce sont eux qui sont nos repères, et ce jusqu’à l’âge adulte. L’injustice démarre ici, car vivre un moment compliqué ne se surpasse que si – justement – l’on est bien entourés. C’est aussi de ça dont parle le film. Le mélange de la justice et de l’injustice sociale.
Signature et crédits :
Un son : Le film est accompagné d’une sublime musique originale composée par l’homme au deux Oscars The Grand Budapest Hotel, La Forme de l’eau) et trois Césars (De battre mon cœur s’est arrêté, The Ghost Writer, De rouille et d’os), le talentueux Alexandre Desplat.
Un texte : Louise Canguilhem
Un visuel : Matthieu Gobrecht
Pour ceux qui souhaiteraient voir 12 jours en SVOD, voici quelques liens -> Univers ciné & Arte