Au détour d’une conversation, deux personnes évoquent le fait de « rater » des photos. Film mal enclenché, réglages mal faits, pile défectueuse ou même absence d’appareil photo au moment choisi… Nous avons décidé de retrouver ces clichés, en utilisant tout ce qui nous passerait sous la main sauf des photos. L’appel à contribution a été lancé début mars et voici la première « photo sans photo » réalisée par Lucile Fauchier. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).
« Il aimait la fragilité de ces instants suspendus, ces souvenirs qui n’avaient servi à rien qu’à laisser, justement, des souvenirs. »
Chris Marker, Sans Soleil
Il y a quelques mois, Nicolas m’a offert un appareil photo argentique.
Je débute, mais j’aime bien.
Pour les fêtes, j’ai acheté une pellicule hors de prix dans la seule boutique photo de Creuse.
Quand je suis allée chercher ma pellicule développée, le monsieur m’a dit qu’elle avait été exposée à la lumière et qu’elle était inutilisable.
Ça m’a rendue très triste.
Il était souriant, il voulait rapidement passer au client suivant.
En marchant rue de la Roquette je me suis demandée pourquoi j’étais si triste.
Ce n’est qu’une pellicule après tout.
J’ai entendu une femme dire « Tu vois ici c’est pas du tout un quartier de bobo, c’est plutôt familial. »
J’avais l’impression d’avoir perdu quelqu’un,
Qu’on m’avait volé quelque chose.
Tous ces visages photographiés, je les ai pourtant encore autour de moi, souriants et bien en vie.
Il y avait
Un sapin en tissu. Les boules de Noël strasbourgeoises de mon enfance. Un sourire sincère de ma mère. Un sourire gêné de ma sœur. Basile qui fait pipi dans un champ d’air d’autoroute. Déguisé en Giacometti. En explorateur animalier. Un radis radieux. Alex et Barth, doux et amoureux.
Il y avait
Eléa aux lèvres rouges et dragons de velours bleus. Des chips qui dévalent le vide entre sa main et sa bouche. Des amis qui boivent. Des amis qui jouent au Risk. Nicolas qui mange un burger sur un parking d’autoroute. Ysé et Victor un matin de calme après la tempête. Eléa, sur un canapé, en train de réfléchir au message à envoyer. Camille, Coline et Canelle culs nus en paniers dans une réserve de régisseur. Un costume phosphorescent. Des costumières joyeuses de poser pour l’objectif. Mathilde qui coud. Mon bureau.
J’ai eu peur d’oublier ces moments
Alors j’ai décidé de les garder quand même
Je me suis dit que j’avais le pouvoir du dessin
Que je pouvais les retrouver
Les recréer
Ne pas les perdre
Je me suis lancée dans la quête impossible de tout redessiner
De tout garder
De retranscrire le sentiment
Le moment
J’ai tout essayé
Gouache
Montage photo
Collage
Aquarelle
Crayon
Stylo
Encre de Chine
J’ai fait une version
Puis deux
Puis trois
Puis je me suis dit que ce n’était pas le moment
Que j’essayerai plus tard
Une autre version
Encore une
Je me suis dit que ce n’était pas la bonne photo, qu’il fallait commencer par une autre
Un essai
Puis deux
Puis trois
J’ai tenté du réalisme
Puis du sentimental
La mémoire de l’image, du cadrage
La mémoire des couleurs, de la lumière
La mémoire du sentiment que j’avais pendant la photo
Rien n’y faisait
Je me suis fait plein de reproches
Mais bon dieu
Ce n’est pas si dur
Tu les connais ces visages
Ces lieux
Tu t’en souviens pourtant
Mais non, je n’y arrivais pas
Et puis j’ai compris
Réellement compris
Que j’avais perdu ces photos
Que ce n’était pas grave
La cinquième étape du deuil
Déni, colère, marchandage, tristesse
Acceptation
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Tant pis.
UN SON : Et Annet Sted de Hubbabubbaklubb, écoutez tout l’album ici, vous n’en reviendrez pas et vous y reviendrez.
UN TEXTE : Lucile Fauchier
UN VISUEL : Lucile Fauchier