Au détour d’une conversation, deux personnes évoquent le fait de « rater » des photos. Film mal enclenché, réglages mal faits, pile défectueuse ou même absence d’appareil photo au moment choisi… Nous avons décidé de retrouver ces clichés, en utilisant tout ce qui nous passerait sous la main sauf des photos. L’appel à contribution a été lancé début mars et voici la quatrième « photo sans photo » réalisée par Justine Marcoux, en soirée. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).
Mais en plus on s’était donné. On n’avait pas fait semblant. On était tout apprêté, tout maquillé, on avait mis nos « habits de soirée ». Putain c’était bien. Les soirées. Les amis, les amis d’amis, qui te disent à 21h « j’peux venir avec untel ? » « mais oui, ici c’est la maison du bonheur » qu’on répondait. Alors on rencontrait de nouvelles personnes chaque week-end, ou presque. Certaines sont restées dans nos vies, d’autres non. Pour la plupart, on les a connus le temps d’une soirée, mais parfois c’était déjà beaucoup.
Et pour tous, les amis qui datent, ceux qu’on vient de rencontrer, ceux qu’on ne reverra jamais, pour tous on avait consacré une photo (ou plus). Et on savait que quand on développerait la pellicule, on se dirait « ha mais oui tu te rappelles lui ? » ; « et quand il a renversé le gin ? » et on rigolerait, en regardant de plus près la photo, en se disant que cette soirée, quelque part, resterait gravée grâce à ces photos.
Du coup on fait comment, quand il n’y a pas de photos ? Quand on avait prévu de marquer ce moment au fer rouge, qu’on voulait en garder une trace papier, quelque chose de tangible, qu’on peut toucher, sentir ? On fait comment, quand on s’est loupé ?
On a ouvert la pochette, on a vu le détail des photos, tout était noir. On a rigolé « merde qu’est-ce qu’on a foutu ?! » puis on a essayé de distinguer dans le noir les silhouettes, les rires, les personnes qui s’étaient invitées, celles qu’on voulait revoir. On s’est sentis bêtes, et on a rangé ces photos « ratées ».
On s’obstine pourtant à les garder. On en reparle souvent. On se dit « mais à aucun moment on a pensé au flash en fait ? ». Puis on se souvient de notre état, on se pardonne. Et cette soirée, finalement, on s’en souvient encore plus. On n’a pas de « preuves » de ces moments, on n’a pas pu fixer les rires, les bêtises, sur le papier. On n’a pas su immortaliser ces moments sur quelque chose de matériel, qu’on peut regarder encore et encore. On les a juste dans la tête. Et parfois je me dis que cette soirée m’a encore plus marquée à cause de cet acte manqué.
Des fois on retombe sur des photos, on se demande encore où c’était, avec qui, dans quel contexte. On a le souvenir dans la main, et pourtant, il nous manque des infos. Ici, c’est l’inverse. On n’a rien de matériel, juste le souvenir gravé dans la mémoire. Cette pochette au fond d’un tiroir, on l’a appelé « The Black Project ».
UN SON : She Can’t Love You de Chemise (1982). Samplé un an plus tard par Regrets dans Je ne veux pas rentrer chez moi seule.
UN TEXTE : Justine Marcoux
UN VISUEL : Justine Marcoux OU Pauline Poetto, le suspense est total