Cher temps,
Tu es ce après quoi je cours, me jurant chaque semaine que cette fois-ci je ne serai consacrée qu’à toi, que je réduirai tout le reste à du rien qui me permette de véritablement te ressentir, sans aiguille et sans rendez-vous, juste toi et moi. On se donnerait rendez-vous chez moi, sur mon canapé, les yeux dans le vague ou contre la fenêtre qui diffuse les derniers rayons d’une journée que j’ai à peine vue passer, toute prise que j’étais dans des inquiétudes qui finalement ne me concernent que peu mais qui sont, inlassablement, le cœur de ma vie. Sauf que dès que je me retrouve seule avec toi, une inquiétude diffuse m’envahit : aurais-je véritablement fait suffisamment pour mériter ce tête-à-tête ? N’y a-t-il pas justement un fond de placard qui devait être rangé, une chaussette à recoudre, tel article laissé inachevé, ma mère à appeler, ou des carottes à aller acheter histoire d’en profiter, puisque j’ai le temps. Et c’est ainsi que je te cours après tout en te rejetant dès que tu t’offres trop facilement à moi, faisant cet éternel jeu du qui fuit sera suivi.
J’aurais pu continuer à vivre en te fantasmant, sans jamais découvrir les aspérités qui font ton charme dérangeant. À avoir peur de toi et préférer attendre plus tard pour t.m’explorer : que la vie se calme, que mon âge m’y oblige, que je n’aie plus rien d’autre à faire, d’en être digne.
Sauf que maintenant que je suis confinée avec comme seule perspective que de te retrouver dès que mon corps ankylosé sort du sommeil pour se confronter au même mur blanc que j’aurais tellement voulu garder à mes côtés, les matins où le boulot m’arrachait à toi, et ce jusqu’à ce que ma chair sans activité trouve enfin un sommeil turbulent. Toutes ces heures ensemble, eh bien notre relation a changé, voilà tout. Toujours l’inévitable aboutissement quand on quitte le qui suit sera fui. Maintenant j’ai exploré ta valeur et ton rythme, je sais que tes poils finissent par repousser et que ton haleine est parfois lourde, le matin. Si tu es mon ultime nécessité, tu es aussi ma pire angoisse par la façon bien à toi que tu as de me mettre face à ma volonté, qui n’est finalement pas de ton ressort mais de ma seule responsabilité.
Un son : Deep See Blue Song de Flavien Berger, que vous pouvez voir ici en train de jouer du thérémine au festival Rock In The Barn, photo volée sur le vif.
Un texte : Laetitia Germain-Thomas
Un visuel : Sarah Martet