Chaque année, nous réalisons un cadavre exquis mélangeant texte et visuel. L’idée est la suivante : une personne rédige un texte, donne sa dernière phrase à la personne suivante (ce sont toutes les phrases en gras dans le texte qui suit) et une fois qu’on a le texte une personne fait un visuel qui à son tour est complété par une deuxième personne. L’histoire se lit ici d’un trait mais vous pourrez voir les visuels au compte-goutte en bas d’article. Bonne lecture.
Stella Strak à l’antenne, il est 8h, journal du 23 mai 2058. Le taux de pollution bat tous les records. L’air est quasi irrespirable et les rationnements d’eau potable sont de plus en plus serrés. Devenus des entrepôts de chair humaine, les « capsules de bien être », immenses villes sous verre où les catégories C et D se réfugient en masse, commencent à manquer de nourriture. Les « peuples du dehors » quant à eux en sont venus à des extrémités : il semble en effet que le cannibalisme soit devenu la seule solution viable pour lutter contre la famine, la terre ne prodiguant plus les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins d’un si grand nombre. Des maladies infectieuses font rage à l’extérieur mais médecins et hôpitaux ne peuvent plus s’y pencher, ayant été réquisitionnés pour assurer la cryogénisation des catégories A et B de la population. Monsieur Le Président de la République a enregistré plus de 15 000 heures de discours avant de rejoindre ses congénères de glace hier soir. Ces discours sont diffusés aux heures des repas, et tendent à rassurer les populations sur la possibilité d’une vie ailleurs. Vous pourrez en écouter un juste après la pub, pour accompagner votre petit…
Je coupe la radio et avec elle la voix autotunée de la Strak. Je souris en réalisant que c’est la dernière fois que je l’entendrai de ma vie. Sale pute de Strak, je pense qu’on n’a pas fait plus chirurgiée depuis l’an 2050. Elle doit chialer comme une dingue depuis que M. le Président s’est fait congeler la pauvre petite. Plus personne pour financer ses implants. J’ai toujours refusé de porter ces machins précisant la vue, promettant la longévité, augmentant la taille de tes seins ou de ta bite, et je ne sais quelle autre connerie. Encore un moyen pour eux de savoir avant toi ce que t’as dans la tête.
J’appuie sur l’accélérateur convaincue que le plus vite je serai arrivée sur la piste, le plus vite je décollerai de ce désert de cons connectés convaincus que leur cyber-activité les sauvera de leur vie médiocre. Fini la poussière. A moi les étoiles et la liberté.
Chevalière des astres depuis mes vingt ans j’ai enfin été missionnée pour aller visiter les planètes habitables des confins intergalactiques. Première destination : X76-EL. Ça a l’air d’être un petit paradis de verdure. Tout ça pour sauver Monsieur et Madame glaçons, ces hauts dignitaires de mon cul. Mais je compte bien prendre le temps d’y édifier mon palais de sérénité et de me la couler douce avant que la vermine ne rapplique.
Et voilà Burks qui agite ses bras au loin comme un couillon. Le vaisseau m’attend, tout pimpant, strié de ses bandes rouges et ors. Un authentique bijou qui va à une vitesse proche de la lumière. Je descends de ma Véloce et lance les clés à Burks qui en rêve depuis des lustres. Il m’embrasse d’émotion et dès que je réussis à me sortir de cet étau, je saute dans ma nouvelle bête flamboyante, prise d’une folle excitation. C’est si joli tous ces clignotements à l’allumage, ça me fout la chair de poule de plaisir. J’écoute vaguement les dernières instructions de Burks, totalement obsédée par ma propulsion imminente. Je sens déjà les gouttes de sueur perlées sous ma combinaison.
C’est maintenant. Place au décompte dans la navette, 10, 9, 8, – ma respiration s’accélère – 7, 6, 5, – je pense à ma petite mère encapsulée – 4, 3, – je souris – 2, 1 – mon cœur s’arrête de battre. Et fiou !… en une fraction de secondes je me retrouve projetée dans la beauté absolue, au beau milieu des étoiles. C’est à couper le souffle. Je programme l’engin en pilote automatique direction X76-EL. Je dégoupille une bière pour profiter pleinement de la vue. Et c’est là que je réalise, en regardant s’éloigner cette « planète bleu » devenue aussi rouge qu’une orange, que je suis la première femme astronaute qui posera le pied sur une autre planète.
La planète Terre est belle, dans cette immensité, accompagnée des autres points colorés de notre système planétaire qu’on appelle « le panier ». Le point rouge de la Terre, rétrécit peu à peu à mesure que je m’éloigne. Dès qu’on a décollé, j’ai senti pleinement le changement, là ça y est.
Les planètes du « panier » sont là, toutes disposées, familières mais teintées d’un sentiment d’étrangeté. Le paysage est le même, mais vu d’une autre hauteur, différent. A moins que ça soit moi qui ait changé, mes pensées s’enchainent et s’envolent.
Je souris, je repense à mes camarades qui trouvaient déjà que je me posais trop de questions, trop de questions sur l’école d’aviation, sur les explorations à mener… D’aussi loin que je me souvienne, on nous a toujours parlé des explorations spatiales. Tout tournait autour de ça, se préparer pour le voyage, se préparer au décollage, aux explorations, enfiler son costume d’astronaute. Je ne me souviens pas de la première fois où je l’ai enfilé, j’ai l’impression d’avoir toujours vécu avec ce scaphandre, engoncé de la tête aux pieds, blanc et boudiné avec une visière noir pour voir. Je ne me souviens pas non plus des autres sans ce scaphandre.
Les autres, ils ont décollé en même temps, on avait chacun sa mission, chacun son trajet. Après le vacarme du départ, c’est le silence, le calme. Ça fait du bien, un peu de tranquillité, après tout ces moments de fourmillement.
Je sens l’ivresse, mélange de houblon et de nouvelle vie, ma vue se trouble, je ferme les yeux. Je cligne des yeux, ça ne va pas mieux, ce n’est plus une Terre que je vois, mais deux, non, pas deux, mais 6, 24. À travers le hublot, les images semblent se réfléchir à l’infini.
J’essaie de toucher le hublot, sans succès, comme si le verre lisse était maintenant composé de multiples facettes. Impossible de se détacher de là, impossible d’aller voir à un autre hublot. J’ai cette sensation depuis le décollage, alors que toute notre préparation aboutissait à ce moment-là, alors que j’aurai dû être en pleine conscience de tous les gestes, mille fois répétés, que tout se mélange, la vue est trouble, les sensations sont fondues. Je ne me souviens pas avoir enlevé le scaphandre, j’étais dans la navette ce matin au réveil. C’était le signal du départ, j’étais la navette ce matin au réveil.
Je déplace le bras mécanique à l’extérieur pour le ramener auprès de la navette, les risques de collision sont trop fréquents et la perte d’un des six bras serait vraiment dommageable pour le reste de la mission.
Le vol continue avec cette étrange sensation de flotter, si différente de tout ce que j’ai ressenti avant, clouée au sol, dans ma lourde combinaison. Comme si je comprenais alors que je n’avais fait que ramper au sol jusqu’à présent.
Je regarde à nouveaux par le hublot, j’aperçois une étoile filante au loin, une comète à cinq branches qui se prolongent en une longue traînée rosâtre. Je vois sa trajectoire, elle va croiser la Terre, ils auront sûrement un beau spectacle en bas. Mauvais pressentiment et la comète heurte la Terre, non pas une fois, mais mille fois, images répétées sur l’ensemble des écrans, sur toutes les facettes. Avec la collision, la planète explose, la croûte terrestre est séparée du noyau. Une deuxième comète vient frapper ce qu’il reste, la partie interne est séparée en multiples quartiers qui disparaissent dans l’immensité vide.
Les prédictions se vérifient et la roue tourne, toute une vie à se préparer à partir, dans l’attente de la catastrophe à venir. Toute une vie de préparation pour continuer la vie, pour disséminer la vie par-delà l’espace. Je relance la propulsion de la navette, son bourdonnement reprend. Plus rien ne m’attache ici et il ne me reste qu’à partir à la recherche d’une autre planète orange ou rouge ou verte.
Ou bleue ? Quand j’étais petite Maman me lisait dans un vieil atlas l’histoire d’une planète bleue qui, disparue, avait emporté avec elle cette couleur qu’on ne retrouve nulle part aujourd’hui. Le sol était bleu, le ciel aussi. Ce n’étaient pas les mêmes bleus et nous leur donnions des noms différents. Un peu comme notre rouge, ils pouvaient être plus ou moins foncés, plus ou moins dilués, plus ou moins réels en somme.
Une étoile protégeait cette planète du froid et le temps y était changeant. On ne pouvait toucher le ciel mais le sol était visqueux et changeait de consistance selon la température. Parfois, en augmentant, elle transformait ce bleu visqueux en des masses compactes qui s’élevaient dans le ciel. Elles parcouraient alors la planète avant de redescendre là où bon leur semblait, sous cette même forme visqueuse.
D’autres fois, cette viscosité durcissait avec le froid pour se transformer en blocs blancs. Ces derniers, solidaires, s’étaient rassemblés à un endroit de la planète pour former le plus grand des blocs blancs. C’est là que nous étions nés. Nous, blancs et massifs. Maman me racontait alors nos vies passées à manger ce qu’ils appelaient du poisson.
Elle me racontait aussi que toute sa vie Papa avait cherché cette planète sans jamais la trouver. En effet, l’atlas mentionnait sans date précise l’arrivée sur la planète bleue d’autres étoiles contre-nature. Ces dernières n’étaient plus dans le ciel mais dans cette même viscosité qui composait le sol, ne réchauffant plus la planète mais la brûlant à la place. Ce faisant, le sol durcissait de moins en moins et le monde se ternissait. Nous, les blancs, gardions notre couleur originelle tandis que le bleu devenait le rouge et le vert que nous connaissons aujourd’hui.
C’est le dernier souvenir qu’on a de cette planète. Je me souviens alors du dessin que Maman me montrait, celui que Papa m’a donnée et que quiconque pourrait voir en montant dans mon vaisseau. Une famille était là, blanche comme le sol, entourée de ces couleurs que j’ai toujours connues et qui pour eux étaient étrangères, anormales. Leur bleu avait été là mais n’y était plus. Un écriteau, porté à l’unisson, indiquait RENDEZ-NOUS LE BLEU.
Triste, je me remémore tous ces noms de planètes que j’ai visitées et me demande si je ne suis pas finalement déjà allée sur cette planète bleue. Je pense que je ferais mieux de l’oublier et de profiter de ce qui s’offre à moi ici.
Ces grands espaces à perte de vue sentent l’herbe fraichement coupée et le sucre. Je me crois alors dans une de ces fêtes de village où l’on mange de la barbe à papa et des chichis à s’en rendre malade. Mais ce qui me ronge moi, ce ne sont pas mes souvenirs d’enfance mais le souvenir de toi. Il est temps d’avancer et de ne pas ressasser le passé. Il est primordial de continuer, d’aller d’une planète à l’autre et de prendre ce que chacune a à offrir. Quand je vois l’atmosphère qui règne ici je me dis qu’elle est bien différente de celle de la planète de ma naissance, moins gazeuse. Le dioxygène présent libère des petites bulles qui flottent à environ 12 mètres au-dessus du sol. Lorsque l’on tend l’oreille, il est possible d’entendre le crépitement de leur explosion quand elles atteignent la couche protectrice planétaire.
Constat fait, je rentre dans une échoppe, m’assieds au comptoir et commande une pinte de bière anisée. Servie grossièrement, j’y trempe mes lèvres sèches et sent couler la mousse le long de ma gorge assoiffée par le voyage. Ce breuvage me rappelle le grand verre de lait frais servi par ma mère lorsque je rentrais du foot. Tapis dans un coin sombre je sens que quelqu’un m’observe, son regard qui pèse sur moi. Je comprendrai par la suite qu’il n’avait rien d’innocent. Je me retourne manquant de perdre l’équilibre. M’apercevant, l’inconnu.e baisse son regard, se lève tout en remettant son capuchon pourpre et s’en va. Sur le moment, je crois que je n’ai pas accordé beaucoup d’importance à cette non-rencontre. Peu perturbé donc, je me ré-accoudais au bar et commandais une autre pinte. J’en profitai pour demander au barman où je pouvais trouver un endroit pour passer la nuit. Il m’indiqua une maison tenue par une vieille femme dont les trois filles étaient parties en guerre galactique et n’en étaient jamais revenues. Il ajouta que nombreux avaient été les enfants à s’engager et m’expliqua que c’était la cause du parfum de mélancolie qui régnait ici et qui faisait que l’on voyait tout avec un filtre mauve. C’est peut-être aussi pour cela que ce sentiment de tristesse m’avait envahi en arrivant. Sur ces paroles, je règle mon dû et m’en vais.
Il fut facile de trouver le foyer que le vieux m’avait indiquée. Je dis vieux mais plus que le temps c’étaient les épreuves qui se lisaient sur son visage. Je pousse alors la porte de la demeure au style victorien. À l’intérieur, je découvre une ambiance bien différente, ça sent bon le praliné au chocolat et le cœur s’y sent tout de suite plus léger. Une femme au visage rond, rosé et ridé lève les yeux de son livre. Je lui demande alors si elle a une chambre de disponible pour que je passe la nuit. Elle me répond par l’affirmative, me précisant que l’auberge ne comptait actuellement qu’une personne. Je règle donc la nuit avec les quelques poussières d’étoile qu’il me reste et la suis jusqu’au premier étage. De nouveau seul, je prends connaissance de la chambre et de tous les gadgets disponibles. Les murs blancs immaculés sont recouverts d’un épais plastique transparent, le puit de lumière au plafond permet de contempler la danse des bulles atmosphériques et le lit en apesanteur flotte au milieu de la pièce. L’envie de danser me prend aux tripes. Je branche alors mon esprit au système stéréo. C’est fou, même dans les lieux les plus retirés de la galaxie, il y a toujours de quoi écouter de la musique. L’ambiance à la fois morose et familière me fait l’effet d’une madeleine de Proust et me renvoie quelques années en arrière. Retenti alors Polygon Pulse de Maceo Plex qui me propulse directement au milieu d’une rave dans les roches pourpres et poussiéreuses de Mars. Un claquement de porte me fait sortir de cet état de transe. Ce doit être l’autre pensionnaire. Je décide de sortir pour faire sa connaissance. Ouvrant la porte, je tombe nez à nez avec iel et reconnais le poids de son regard. C’est celui de l’inconnu.e du bar, là, devant moi. C’est un être ni homme ni femme ou homme et femme à la fois, élancé.e et élégant.e, au visage argenté et au regard azur perçant.
Cette personne m’intrigue et m’interpelle. Je veux aller la voir mais je ne veux pas bouger. Pourquoi devrais-je échanger avec lui ? On ne se connaît ni d’Eve ni d’Adam comme disaient mes aïeuls. Ai-je vraiment le désir d’échanger avec elle? Je ne pense pas. Échanger avec un.e inconnu.e accoudé.e, c’est toujours un pile ou face. C’est pas sûr d’en sortir quelque chose de constructif. Tu y apprends des choses, vrai. Mais, généralement, c’est rarement une information digne du Pulitzer.
“Pluton ne fait pas partie du système solaire sauf pour les USA”
Super! Je vais pouvoir accrocher du monde avec ça. Bon, autant tenter sa chance avec lui, on sait jamais. Je pourrai bien m’en tirer avec un tuyau ou une histoire. Elle a quand même un faciès éloquent.
“𓄰իլ – Bon …” Ah ! Bon. Ma tentative de communication a avorté. Un de ces camarades, surement, argenté comme lui, est apparu. Je l’imagine plus âgé. Il tire plus du côté de l’astéroïde que de la Lune. En tout cas, ça me conforte dans ma solitude cette rencontre insolite ! Il était le seul à m’avoir regardé dans les yeux depuis mon arrivée dans ce coin.
Un prompt tour de la salle et du comptoir me confirma ma dernière affirmation avec force. Une porte en métal, dans le coin de mon oeil, s’ouvre. “Enfin de l’activité !” Qu’est ce qui va sortir ? 10 tinkts que c’est un Plutonien.
Mitigé sera donc mon commentaire suite au souvenir de son anatomie. Dans la pénombre et dans un bar, mes capacités d’analyse sont affaiblies du fait des forces en présence. Mais il se prête pas bien au jeu. Cette manie de se couvrir une partie du visage complique mon affaire. Je parle affaire. Je mettrai plus cette suite de pensée sur le compte d’un ennui débonnaire qu’une activité trépidante . La vie dans les étoiles, on s’imagine rentrer dans la vie de Rackar et pour découvrir celle du petit astre, pensais-je en levant les yeux au ciel. Je cherche Orion. Alors, Orion, c’est le bonhomme avec la ceinture. Il est plus proche de la constellation du cygne ou celle du dragon, déjà.
“ԾՊբըոՂՆઝ ( Vous confondez mon Brave. Orion, c’est de l’autre côté. Celle que vous venez de citer sont plus côté Grande ourse et Étoile du berger)”
Un télépathe, apparement, venait de m’aborder. J’espère surtout qu’il allait pas me sabrer ma bonne humeur. Mon dialogue intérieur va devoir prendre fin. Ca va le vexer. Imaginons qu’il réponde à mes pensées et non à mes paroles, la conversation va tourner courte et probablement gênante.
-“Ah vous avez sûrement raison. C’est comme tout, j’imagine. Tout est une question de placement. Vous devez venir du centre non ? “ (j’espère ne pas le vexer. Je connais pas les us de ces engins.)
-“ Ce n’est pas un souci ! Vous me me vexez pas. Vous savez, nous, les télépathes, nous nous vexons très peu à cause des pensées de nos interlocuteurs. Je dirai que c’est une sorte de gymnastique d’esprit assez intéressante. Il s’agit en fait d’écouter mais aussi d’entendre. En écoutant ses pensées, on l’entend d’une certaine manière”
Je n’ai donc pas de grande surprise sur le déroulé d’une discussion avec un télépathe jusqu’ici. Niveau audition, il est bon. On ne peut pas lui enlever ça. C’est plus sur la partie dialogue que ça peut devenir fatiguant. Niveau Espace aussi, il en connaît un rayon, le rayon de Ra, de SUN Ra
Au service de l’orchestre en 1966, il a appris auprès des plus grands (SUN RA) que/ comment l’espace nous est articulé (et l’inverse) ; en deux bonds démonstratifs et rhétoriques, on est transporté, avec SUN RA, dans de telles galaxies. Il a été le témoin des étranges pouvoirs de SUN RA : prédiction, apparition, téléportation… il savait que SUN RA venait de Saturne (il y est retourné). Il a été (amicalement) “enlevé” par les extraterrestres (ce serait les extraterrestres qui l’auraient “ajouté” sur cette Terre, le 3ème ciel).
Constamment en tournée, le monde est déjà un/à l’image d’un voyage interstellaire ; il est devenu important. Manager, vendeur des disques, “prompteur” : il reconnaît en premier quel morceau joue SUN RA. Une fois, une seule fois, lors d’un dialogue, il raconte comment il s’était trompé. Il n’avait jamais recommencé, il avait eu “de gros problèmes”.
Pour s’éloigner un peu de la planète SUN RA, il a fait “un break”, de quelques années. Le temps de raconter quelques histoires, du Texas (très effrayantes !). Il est revenu. Lorsque SUN RA l’a vu depuis toutes ces années, il a dit: “T’étais passé où ?”, comme s’il n’était jamais parti. La Terre est tellement petite, il n’était donc jamais parti.
Je voudrais lui dire merci. J’ai bien noté, je sais où il habite, maintenant. L’espace peut être grand, il ne nous échappera jamais, de toute éternité. WE ALL LUV U, D. BLESSINGS.
Elle plia la lettre en deux et la remit dans l’enveloppe. Une larme coulait au coin de son œil, elle l’essuya furtivement, comme pour refuser qu’elle ait pu se laisser aller. Même une seconde, même un quart de seconde.
Elle ne pouvait pas laisser un mot doux lui faire perdre de vue son objectif. Elle avait une mission. Professionnelle, certes, mais aussi personnelle. Elle avait besoin de se prouver qu’elle pouvait y arriver seule, qu’elle n’était pas trop sensible, qu’elle savait gérer ses émotions. Elle décida de prendre cette lettre pour ce qu’elle était : du soutien, des encouragements. Elle devait en faire une force, et non une faiblesse.
Sur cette note elle retourna dans la cabine, d’un air impassible elle rejoint l’équipage et reprit sa journée. L’espace d’un instant, à la lecture de ses mots, elle s’était sentie de nouveau sur Terre. Auprès des siens. Elle se rappela qu’elle n’était pas qu’une astronaute en mission, mais une femme, une mère, et qu’on pensait à elle. « L’espace peut être grand, il ne nous échappera jamais, de toute éternité », elle se répétait cette phrase. Comme pour l’ancrer dans sa mémoire. Comme pour en comprendre les multiples sens. C’était une façon de dire que rien n’est jamais trop grand, pas même l’espace. Qu’avec persévérance et courage, on peut arriver à ses fins. L’espace qu’elle étudiait, celui des étoiles, mais aussi l’espace qu’elle laissait entre eux, et l’espace qu’elle se donnait à elle-même. Rien ne leur échapperait jamais car ils avaient construit leur monde, leur intimité. Et peu importe le temps que durerait leur séparation, ils sauraient se retrouver.
Le commandant lui lança un regard interrogateur, elle lui répondit par un petit sourire. Ni trop discret, ni trop marqué. Comme on lui avait appris. Ici, pas d’états d’âmes. Malgré la proximité avec ses « collègues », elle ne pouvait se permettre de se livrer. Elle décida de garder secret le contenu de cette lettre et l’effet qu’il avait produit sur elle. Mais lorsqu’elle se plongea à nouveau dans son travail, elle prit alors conscience de l’ampleur de la mission pour laquelle elle était là.
Dehors, tout était noir et lumineux à la fois. L’immensité de la galaxie lui rappelait à quel point elle était petite, et paradoxalement, à quel point elle était importante. Avoir la chance d’étudier cet « autre monde », celui qui nous semble à la fois inaccessible et pourtant si proche. Celui qui nous entoure et qui nous échappe.
Ils allaient reprendre l’antenne, sa chronique allait commencer. Ici se trouvait tout l’enjeu, cette émission lui permettait de donner des informations scientifiques à l’observatoire mais aussi de manière indirecte des nouvelles à ses proches. Elle ne savait pas comment parler de la lettre reçue sans qu’on le remarque autour d’elle. La musique retentit dans la cabine et elle se dit alors qu’elle improviserait. Elle trouverait un moyen de faire résonner les mots de la lettre dans sa chronique. Elle y pensa intensément, comme pour s’en imprégner. Le jingle se termina, il était temps : « Stella Strak à l’antenne, il est 8h, journal du 23 mai 2058. Le taux de pollution bat tous les records. »