Depuis début novembre, les archives de l’Atlas des Régions Naturelles (ARN) sont disponibles sur internet. Il s’agit de milliers de photographies prises par Nelly Monnier et Eric Tabuchi sur les routes de France au cours des dix dernières années. Nous avons lancé un appel à contribution où on vous propose de choisir une photo, d’écrire, de trouver une musique et de nous envoyer le tout par mail. Voici la dixième contribution que nous avons reçue. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).
Je connais l’hôtel des voyageurs, il est en face de la gare de l’utopie à Vertolaye. J’y ai mangé, pas si mal, à midi en août 2018 au retour d’une exposition à la maison du Livradois-Forez : « Vallée de la Dore, une campagne industrielle en mutation ». Nous n’étions pas nombreux dans la salle de restaurant ; je crois me souvenir que nous avions mangé à côté de deux maçons d’une entreprise du coin.
La Dore, c’est la rivière de mon enfance, on s’y baignait même à l’époque, près de son confluent avec l’Allier. La Dore, c’est aussi la rivière de mes ancêtres Lévigne marchands de bois qui descendaient leurs grumes des hauts de Vollore vers la rivière pour qu’elles soient acheminées vers Nantes via l’Allier et la Loire. Mon Douro, ma Doire.
Entre Courpière et Ambert, la Dore coule dans des gorges étroites à travers les monts du Livradois, c’est la haute vallée. C’est là qu’étaient installés depuis toujours moulins et scieries et une ancestrale industrie du papier. Le XIXe siècle a apporté le chemin de fer, une industrie coutelière, des industries textiles. Le XXe siècle une large route nationale et l’électricité de la centrale de Sauviat (hydraulique et thermique) et un site de production de Sanofi (pour être assez loin de l’Allemagne). Le train ne sert plus désormais qu’au fret et la gare de l’utopie est réservée aux expositions. Les entreprises n’utilisent plus l’énergie hydraulique, mais la plupart des établissements ont réussi à évoluer (repris par de grands groupes internationaux), y compris sous des contraintes de respect de l’environnement en matière de déchets et d’énergie : on ne fait plus guère de tresses ou lacets (sauf pour les produits de luxe), les câbles électriques OMERIN les ont remplacés, plus guère de papier de luxe, mais des cartons d’emballage et les hangars abandonnés des entreprises défuntes servent encore au stockage des entreprises vivantes ; on ne déverse plus ni sciure ni effluents de l’industrie chimique dans la Dore (qui reste cependant une rivière très polluée: 89% des masses d’eau n’atteignent pas le « bon état » et il est interdit de consommer le poisson du barrage de Sauviat, même si le castor recolonise le parc de loisir de Thiers).
À l’aval de Vertolaye, le bourg médiéval d’Olliergues établi dans un méandre de la Dore compte les beaux vestiges industriels d’une entreprise de coutellerie les établissements Villadère qui fonctionnèrent de 1902 à 1996, reprenant et agrandissant les locaux d’une entreprise de tissage mécanique. Le site est désormais la propriété de Doretech, une menuiserie, comme si la vallée revenait à ses toutes premières amours.
Quel sera l’avenir de cette mutation d’une campagne industrielle avec l’annonce par SANOFI (800 employés) de se séparer du site de Vertolaye ? Que sont devenus les 35 projets des étudiants architectes orientés surtout vers le tourisme et le vieillissement de la population ? On peut les consulter sur internet en cliquant ici, mais ils ne semblent pas avoir vu le jour.
Pour le moment, l’hôtel des voyageurs fonctionne toujours.
UN SON : J’aime les gens qui doutent de Anne Sylvestre, sur l’album J’ai de Bonnes Nouvelles sorti en 1979.
UN TEXTE : Danièle Godard-Livet dont vous pouvez consulter les livres ici et le blog là
UN VISUEL : L’hôtel des voyageurs de Vertolaye, photographié par Nelly Monnier et Eric Tabuchi dans le cadre de l’Atlas des Régions Naturelles.