Tous les jours, on mange, on dort, on parle. Nadia Vadori-Gauthier, tous les jours, en plus, elle danse. C’est davantage que ces petits mouvements que l’on esquisse lorsqu’on apprend une bonne nouvelle, ou ceux qui viennent spontanément à l’écoute d’un morceau que l’on aime. C’est tout aussi sincère et instinctif mais c’est une autre durée, une autre densité, une autre ampleur. Une minute, parfois plus.
Danser tous les jours pour créer un espace de rencontre, de poésie, de résistance
Cette minute, Nadia la passe souvent dans le monde, à l’extérieur, avec les gens, des êtres qui lui sont chers comme des inconnus. Ses gestes permettent des interactions, se répercutent et touchent. Avec Nadia, on perçoit les pouvoirs du mouvement, les liens qui peuvent se tisser, avec les humains mais aussi avec l’environnement tout autour. Les sourires qu’elle suscite, la danse qu’elle provoque chez les passants qu’elle croise, les regards interrogateurs qui la suivent nous permettent de voir les ricochets de cet acte de bravoure et de poésie, celui d’insérer partout quelques pas de douceur, de grâce, de force, de résistance. On réalise à quel point on est conditionné à danser dans certains lieux, à certaines occasions, on se rend compte que notre danse à nous est bien codifiée et cantonnée. Et puis, en regardant Nadia, on comprend que, si les mots viennent à manquer, si la situation est grave, si l’on est impuissant, on peut encore puiser en soi, trouver une énergie qui nous permet au moins de bouger, de réagir, d’exprimer, d’exister.
Une chronique du quotidien
En plus de nous faire prendre conscience des pouvoirs du geste dansé, cette minute nous renseigne sur l’état du monde. À travers les événements, petits et grands de ces dernières années, Nadia se meut. Elle conserve, grâce à chaque danse filmée, une archive de ses journées. Elle nous permet de traverser Paris, de parcourir le monde, de rencontrer toutes sortes de personnalités, d’être au cœur de l’actualité. Elle nous montre les saisons qui passent et la vie qui coule doucement. Elle nous fait vivre les grandes joies et les terribles soubresauts d’une histoire commune. Elle s’insère dans le réel, elle le sent, elle le capte et elle le donne à voir. Toujours avec son regard particulier : poétique et engagé, décalé et sensible. Cinématographique, aussi. Le cadre, les couleurs, tout est bien choisi. Chaque minute est forte d’un équilibre tendu entre réflexion et spontanéité, entre technique et ressenti. Nadia réalise chaque jour un petit exploit, à la fois performance et vidéo, qui représente une goutte de plus. Car la danseuse y croit, à ce proverbe chinois qui dit que « goutte à goutte l’eau finit par traverser la pierre ». C’est pourquoi elle continue, sans répit, à danser dans le monde.
Soixante-dix minutes de danse au cinéma
Le réalisateur Jérôme Cassou a bien senti la puissance de ce personnage et la valeur de ces images. Dans son film, Une joie secrète, sorti le 11 septembre en salle, il nous permet de voir le travail de Nadia, la façon dont elle réalise, les difficultés qu’elle peut rencontrer. Le film retrace l’origine du projet qui débute après les attentats du 7 janvier 2015, en réaction et en hommage, comme d’autres font une minute de silence. On constate un peu mieux, grâce au travail de Jerôme Cassou, l’endurance de cette femme qui, tous les jours, tâche de révéler la beauté du quotidien ou de dénoncer l’absurdité du monde. Surtout, Une joie secrète permet de voir, ensemble, plusieurs « minutes ». Comme si on réunissait toutes ces petites gouttes, et qu’elle devenaient un torrent, on est submergé d’émotion par le montage de plusieurs danses. Mises ensemble, en relation, elles dégagent encore plus de courage et d’espérance.
Le son : 500 dances, du single You’ve changed/500 dances de Theo Lawrence and the Hearts, paru en avril 2017. Theo, en plus d’être un chanteur et musicien incroyable, est aussi le fils de Nadia Vadori-Gauthier.
Le texte : Marion Bonneau vous parlait d’Une joie secrète, un film de Jérôme Cassou sorti le 11 septembre 2019. Pour le voir au cinéma, voici une séance près de chez vous.
Le visuel : Marion Piauley