[Des textes pour l’ARN #7] Le ciel et les collines du Boulonnais

Le ciel et les collines du Boulonnais par Nelly Monnier et Eric Tabuchi

Depuis début novembre, les archives de l’Atlas des Régions Naturelles (ARN) sont disponibles sur internet. Il s’agit de milliers de photographies prises par Nelly Monnier et Eric Tabuchi sur les routes de France au cours des dix dernières années. Nous avons lancé un appel à contribution où on vous propose de choisir une photo, d’écrire, de trouver une musique et de nous envoyer le tout par mail. Voici la septième contribution que nous avons reçue. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).


Adolescente, j’étais ce genre de gamine soupirante, saoulée par tout, réussissant l’exploit de
concilier mollesse et sensibilité exacerbée dans un même mouvement.

En bagnole, des paysages comme celui-ci, j’en avais déjà vu des millions, et je n’avais plus
aucune pitié à leur égard. Terre, champ ou route, un truc chiant quoi qu’il arrive ; un ciel plat et
triste comme la mort. Voilà la vue de merde.

J’avais le sentiment d’être la meuf qui regardait les vaches qui regardaient passer le train.
En vérité, j’étais juste tellement préoccupée par ma propre personne que rien ne pouvait
m’atteindre ; tout était indifférence ou agression, les yeux rivés sur l’intérieur de mon crâne.
Un ciel gris ou vaguement bleu ? La dépression.

Le soleil me faisait fuir, le mièvre des arcs en ciel me filait la gerbe.

Ciel d’orage, du tonnerre ? Rentrons, vite.

Et puis en grandissant, on découvre quelque chose de tout à fait insoupçonnable et qui
personnellement, me surprend toujours : les terribles répétitions de l’enfance, ces boucles –
dont on rêvait de s’extraire le jour où on aurait des seins et le bac en poche -, hé bien avec la
distance et les nouvelles responsabilités, les nouveaux défis, la nouvelle vie… On parvient à les
sublimer, ces souvenirs de merde, on en extrait un suc sirupeux, une petite musique dans
laquelle on vient se lover le soir dans son lit.

En grandissant, j’ai appris à aimer ce CD de Neil Young que ma mère passait en boucle en
voiture ; mieux que ça, aujourd’hui, je l’adore ! J’ai acheté le vinyle. Et il me rappelle des images
agréables, des images de mon quotidien, que je haïssais.

Déshabillées de l’habitude, les images retrouvent leur souffle.

J’en reviens toujours pas.

Faut la comprendre, cette ado que j’étais : tout m’était intolérable parce que je l’étais. Tous les
ciels mous et tout les champs plats me ramenaient à mes guerres froides, mes silences
assassins. Je ne pouvais pas voir la tendresse de deux filets roses dans le ciel, je ne percevais
pas la chaleur de la lumière sur les ballots de paille, ni même la douceur tranquille et confiante
d’un paysage de labeur en cours : tendresse, chaleur, douceur, tout cela n’avait aucune
existence alors.

Et de temps en temps, fugace, un émerveillement. Un sentiment de paix joyeuse et presque
honteuse. Des yeux qui s’écarquillent.

Il en a fallu, des ciels bleu et rose pour me sauver de moi-même, pour pousser mon horizon au-delà de ma vue. De vastes étendues presque vides – mais si peu finalement – pour donner un
air neuf à mes poumons, fatigués de ressasser les mêmes miasmes encore et encore.
De nouveaux espaces pour un esprit étriqué.

De la lumière. De la lumière à perte de vue, celle-là même qui réchauffe et brûle, fait vivre et
vieillir et mourir ; je m’en gave après toutes ces années dans le noir, coup de soleil après coup
de soleil. Je peux enfin la voir.


UN SON : Old Man de Neil Young, sur l’album Harvest sorti en 1972.

UN TEXTE : Fanny M.

UN VISUEL : Le Boulonnais photographié par Nelly Monnier et Eric Tabuchi dans le cadre de l’Atlas des Régions Naturelles.

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