Les Effusions. Des amis d’amis d’amis ont le cul entre deux chaises. Certains finissent leurs études, d’autres intègrent un monde du travail pas toujours pourvu des idéaux qui les taraudent. Certains sont charpentiers, d’autres artistes, architectes, théâtreux ou encore danseurs. Ils se rendent comptent que si ce monde ne leur propose pas assez d’espaces où s’exprimer librement, ils deviennent finalement des adultes capables de créer un lieu où vivront leurs utopies si palpables. Ce pourrait être vous, ce pourrait être nous… Nous parlons ici des Bourlingueurs, l’association qui organise le festival de théâtre Les Effusions.
Arrivée à l’île du Roi
Quitte à voir les choses en grand, autant trouver un lieu qui en jette. Leur repère sera alors l’île du Roi, nom à classer aux côtés de la forêt de Sherwood et autres toponymies qui hument la terre grasse et les arbres centenaires. Depuis la gare de Val-De-Reuil en Normandie, après avoir longé la sauvage Seine pendant une demi-heure, nous sommes d’ailleurs accueillis par un faux forain nous indiquant le chemin du camping. Nous guidant depuis le toit d’un camion roulant au pas, il distille un accent normand qui sue l’infinie sympathie. “Faites gaffe à la bébête” dit-il en désignant les recoins de la forêt, comme Vincent Cassel nous vanterait les mérites de la Grotte Chaude.
La bête n’est en fait qu’une drolatique fourmi et le spectateur averti se rend alors compte que le festival est littéralement un théâtre. Les Bourlingueurs qui furent 80 pendant la résidence de trois semaines qui précède l’événement sont partout. Munis de tabliers bleus et de sourires désarmants ils veillent au grain de notre contentement. La scénographie nous attend pour prendre vie, la cuisine se prépare et des pièces de théâtre ont été spécialement concoctées pour le plaisir des festivaliers.
Théâtre pour tous : Kukumatz et collectif 2222
C’est ainsi qu’une première pièce nous mâche magnifiquement bien l’oeuvre d’Anton Tchekhov. Anton Project est le nom de la pièce, référence à cette tentative de décrypter le projet humain compris dans le travail du Russe. C’est le collectif Kukumatz qui est à l’origine de cette tentative. Qu’en dire ? Quatre personnages avec une parité digne de nos récents gouvernements. Un goût prononcé pour l’alcool qui délie les langues et donne de l’emphase aux tirades. Des amours impossibles qui serrent le cœur du spectateur enviant le trouble de pensées infidèles. Une tragédie parsemée de magnifiques scènes dont ce slow manchot où l’on peut voir un des couples étreindre le vide chacun de son côté en se réclamant des tendresses inatteignables. Une impression de déjà vu pour les âmes perdues qui ne parviennent pas à nommer les tourments et sentiments qui rôdent en leur for intérieur.
Sortir de cette pièce après un tonnerre d’applaudissements et palper le cœur du festival. Des Bourlingueurs s’affairent à préparer la tambouille du soir. D’autres servent de rafraîchissants Picon à déguster sur des ballots de paille en regardant les mimes du collectif 222. En zone de guerre sans doute slave, une famille tente de traverser un cours d’eau. Le tragique s’allie au comique et l’absence de mots force l’empathie.
Les Effusions : philosophie de programmation
C’est donc en toute sérénité que le spectateur peut, instruit des bons mots des Bourlingueurs, se glisser dans l’ambiance nocturne du chapiteau. La poésie continue un temps avec les déclamations de Maxime Jerry Fraisse puis petit à petit la force du live laisse place à celle des vinyles. La house de L’Harmattan fait se réunir les participants désireux d’étirer le temps. Le mélange opère subtilement et de l’inhibition des spectateurs on passe aux danseurs tout aussi impliqués dans leur tâche. Les festivaliers révèlent ainsi leurs différentes facettes au fur et à mesure et les guides que sont les Bourlingueurs se font derviches tourneurs dans une transition parfaite.
La mise en abîme se précise alors. Les Effusions sont des effusions. “Manifestation sincère et vive d’un sentiment ; fait de lui donner libre cours, élan” nous dit Larousse. Joie que de finalement constater que nous découvrons ici l’essence de l’association qui organise les Effusions. Les Bourlingueurs se révèlent eux-mêmes à travers cet événement, créant au même moment un espace de confiance et de sérénité propice à l’éclat de ces effusions qui nous taraudent.
Loin de seulement vaquer à notre divertissement, on voit alors se dessiner la subtilité de cette programmation qui, festivalesque, appelle nécessairement des ondes positives en même temps qu’elle partage des messages. Le théâtre dans sa devise antique – plaire et instruire – a su être mis au goût du jour pour séduire une population curieuse et avide.
Félicitations aux Effusions des beaux Bourlingueurs.
Signature et crédits :
NB : les Bourlingueurs sont présents sur Paris tout au long de l’année avec une ribambelle de productions. Nous vous invitons à les suivre sur leur page facebook.
Un son : L’Harmattan quand on les avait invités aux Grands Voisins
Un texte : Nils Savoye
Un visuel : photos de Axel Henry