Depuis début novembre, les archives de l’Atlas des Régions Naturelles (ARN) sont disponibles sur internet. Il s’agit de milliers de photographies prises par Nelly Monnier et Eric Tabuchi sur les routes de France au cours des dix dernières années. Nous avons lancé un appel à contribution où on vous propose de choisir une photo, d’écrire, de trouver une musique et de nous envoyer le tout par mail. Voici la cinquième contribution que nous avons reçue. Si vous souhaitez proposer la vôtre, envoyez-la à contact@lescamoteur.fr (plus d’informations ici).
Une photo d’une église à Strasbourg, peut-être dans sa banlieue au vu des quelques tours qui l’entourent. C’est Nils qui l’a choisie, grâce à son algorithme magique.
Avant le re-confinement, on prévoyait de voyager un peu partout pour émerveiller nos week-ends. Bruxelles pour voir Zoé et Alexandra, Nantes parce que c’est festif, Strasbourg pour découvrir le marché de Noël. Rien de tout ça n’a pu se faire. C’est reporté. Comme à peu près toute notre vie en ce moment. Je ne suis donc jamais allée à Strasbourg. Mais dans des églises si, et des tas !
Celle-ci ressemble à une tortue. Et je me dis, c’est drôle une église-tortue, ça donne une mise en abîme de maisons ! La tortue porte sa maison, cette maison est une église, qui elle-même est, de ce qu’on raconte, la maison de Dieu. Tortue divine ? Eglise nomade ? Il lui reste un bout de chemin à parcourir avant d’atteindre l’océan. Les tortues n’ont jamais été des flèches mais « rien ne sert de courir ; il faut partir à point. » Et, de toute façon, les eaux auront vite fait de venir à elle.
Avant, je croyais en Dieu. J’allais au catéchisme, je priais et je me rendais à la messe. Je croyais en Dieu parce que j’aimais parler à quelqu’un avant de m’endormir. J’aimais la petite icône de la vierge que ma grand-mère m’avait offerte. J’aimais entrer respectueusement dans les églises et les cathédrales, me signer, m’asseoir sur un banc, respirer la sérénité. Puis d’un coup chanter à tue-tête des canons qui résonnaient en des échos incroyables entre les murs habitués au silence, avec ma maman.
J’aimais partager ça avec ma maman. C’était un lien magique entre nous qui transcendait tout. Elle me racontait les histoires légendaires de la Bible, juste avant de dormir. C’était comme des petites bulles de merveilleux qu’elle soufflait dans mes rêves. Merci maman pour toutes les histoires.
C’est fou de se dire qu’une multitude de personnes connaissent et reconnaissent tous ces contes par cœur et pour toujours, et viennent encore et encore se les faire raconter dans les églises. De se dire que bâtisseur de cathédrales était un vrai métier, et que pendant des années ils érigeaient des lieux sans jamais les voir finis, seulement pour que les générations futures profitent de ces mêmes récits. L’église-tortue de Strasbourg ne paie pas de mine, toute de vert et de béton, et pourtant, tous les dimanches, elle devient ce lieu si plein de croyances.
Je ne crois plus en Dieu, mais j’ai gardé tout près de moi l’amour des histoires. J’ai choisi le théâtre pour me les entendre dire et pour les raconter à mon tour. Heureuse coïncidence, le livret de salle d’une pièce de théâtre, celui que l’ouvreur vous tend avant la représentation, s’appelle aussi une Bible. C’est l’homme sévère de la Colline qui me l’a dit, celui qui sonne la cloche annonçant le début du spectacle et qui accueille les retardataires avec des sourcils courroucés. Ça donnait à peu près ça :
-Pourrais-je avoir le livret ?
-Le quoi ?
-Le livret de salle. Vous savez, le feuillet qui explique le spectacle.
-Ah ! Vous voulez dire, LA BIBLE !, en me fixant de ses grands yeux dramatiques.
La Bible ! Et dire qu’il y a quelques siècles de ça les comédiens devaient renoncer à leur statut d’artiste s’ils ne voulaient pas être jetés à la fosse commune – on se demande d’ailleurs si les temps ont tant changé que ça…
Mais pour moi, en effet, il y a quelque chose de l’église dans un théâtre. On assiste à la messe comme on assiste à une représentation, pieusement installés sur nos fauteuils rouges, écoutant religieusement les fables qu’on nous y raconte. La lumière artificielle des projecteurs fait écho à celle presque irréelle, filtrant par les vitraux. Et, plus que tout, on s’y sent empli, on s’y sent bien, réparé, bienheureux, comme à la maison ! Une maison du sacré et de la communion pour l’un comme pour l’autre mais un espace à soi, où l’on retrouve du beau. La Maison de Dieu devient la Maison du Jeu. Je n’ai pas perdu toutes mes croyances. J’ai foi en les histoires. J’ai simplement changé d’église et trouvé une autre maison.
Ma tortue à moi porte un théâtre.
UN SON : Between The Bars par Elliot Smith
UN TEXTE : Marie Lacroix
UN VISUEL : Eglise du Christ ressuscité à Strasbourg, construite en lieu et place d’un ancien château d’eau démoli vers 1960. Photographié par Nelly Monnier et Eric Tabuchi dans le cadre de l’Atlas des Régions Naturelles.