Trois ans après avoir échangé quelques verbiages bien sentis avec le Art Ensemble Of Chicago dans leur album Comme à la Radio, Brigitte Fontaine et Areski Belkacem sortent leur premier album co-signé : Je ne connais pas cet homme. Nous sommes en 1973 et le dialogue du huitième titre commence ses 242 secondes ainsi (Prononcez uniquement le gras quand vous reproduisez la scène avec votre amour) : « Brigitte Fontaine: Areski! Areski Belkacem: Qu’est-ce qu’il y a? BF: T’as pas entendu un truc bizarre? AB: Si. BF: Qu’est-ce que c’est? AB: C’est le gaz. C’est le gaz dans l’appartement en dessous. Des fois y’a fuites, alors ça s’accumule, puis si y’a une étincelle ça explose. C’est normal! Et qui dit explosion, dit détonation. D’où le bruit que t’as entendu tout à l’heure. BF: Ahhh. ABF: La la la… » L’histoire conte concrètement l’incendie d’un immeuble peuplé de familles d’ouvriers, d’étrangers et de quelques improductifs, le tout avec une instrumentation très légère et envoûtante.
Qu’est-ce qui est normal 35 ans plus tard ?
29 novembre 2018, deux americanos dans le ventre et une pinte de Picon à la main, nous sommes au Trabendo. Une femme d’à peu près notre âge est sur ses synthés, on arrive en cours de route mais elle explique qu’il y en a un qui ne marche pas et donc que son rôle dans ce one woman show est moins spectaculaire que ce à quoi on pouvait s’attendre. C’est Musique Chienne, l’artiste qui fait de la musique pour les gens et les chiens peut-on lire sur son profil.
On peut surtout voir qu’elle cite dans ses influences Frank Zappa et Les Inconnus. Quel serait le lien ? Le premier fait du rock qui tache avec une omniprésence de l’absurde dans les paroles. Il suffit de penser aux péripéties du personnage fictif de l’album Joe’s Garage (1979) : dystopie où la musique est interdite, il se fait prendre à répéter dans son garage dans son groupe de rock et est poussé dans les ordres où il rencontre une catholique nymphomane qui plus tard se demande pourquoi elle a mal quand elle pisse (et ainsi de suite). Comment Musique Chienne investit ce domaine ? Son concert se finit par les mêmes nappes synthétiques avec sa voix récitant le sketch Je ne vous connais pas d’Elie Kakou. Pas loin du titre de l’album de 1973 finalement.
Brigitte Fontaine Fontaine
Un verre vidé s’est rempli de nouveau tandis que la surabondance de noms (on va jusqu’à programmer des dj sets de Fishbach entre les trois concerts) invite le public à prendre l’air le temps d’une blonde. Le retour au réel du live en est d’autant plus dingue. Un blues crasseux se fait entendre dans la pénombre de la salle. On retrouve une authentique personne qui en 35 ans n’a pas changé de ritournelle. La sienne est irrévérencieuse, puissante et surtout très touchante parce que drôle. En relisant notre carnet dans lequel on écrit avec un feutre noir sans rien voir, on peut décrypter : « Brigitte Fontaine fait du blues qui encule Dieu. »
Tout prend une autre tournure à son contact. Quand elle crie de sa voix éraillée par de nombreuses substances « Allahu akbar », qu’est-ce qu’on fait si ce n’est rire ? On repense à son rôle dans Le Grand Soir. Maintenant représentez-la vous et dites-vous qu’elle a 7 ans de plus. Pas n’importe quelles années, celles qui vous disent qu’en fait on s’en branle. Celles qui donnent du culot, dont celui de faire un concert intense au possible mais qui ne dure au final que 20 minutes.
Les Femmes S’en Mêlent rime avec Irène Drésel
Pour voir tout ça en une soirée, il fallait compter sur la collaboration entre Les Femmes S’en Mêlent et Irène Drésel. Le premier est né il y a de ça une vingtaine d’année avec une idée intéressante : profiter de la journée des femmes (le 08 mars pour les ignorants parmi lesquels on se compte) pour promouvoir leur musique. En 1997 vous aviez une soirée, aujourd’hui ça reste un festival annuel auquel s’ajoutent de multiples événements OFF. La carte blanche à Irène Drésel en était un, la carte blanche à Hinds en du 13 décembre prochain aussi. La seconde (Irène Drésel, au cas où vous ne suiviez pas) produit ce qu’on appelle une techno éthérée. Ecoutez la playlist et vous en saurez plus mais on serait sur du James Holden pour ceux qui connaissent, très mélodique et parfait une fois que tous ces verres étaient finis.
Signature et crédits :
Le son : Sélection de Nils Savoye
Le texte : Pensé à 4 mains, écrit à 2.
Le visuel : Photographie argentique non-retouchée de Musique Chienne par Nils Savoye (Canon 35mm ; Ilford N&B 400 ISO)
Pour aller plus loin, toujours plus loin : On avait déjà parlé du génial Frank Zappa à l’occasion d’un article sur Norma Jean Bell. Tu ne sais pas qui c’est ? Elle a traversé la musique avec son saxophone et sa magnifique voix. Commençant sur du rock elle a bifurqué pour bosser avec le géant Moodymann. Là si ça sonne un peu plus, dis-toi que c’est elle qui chante I’m The Baddest Bitch In This Room.